Un bel exemple d’agroécologie à Chapelle-des-Bois

p11 - Chapelle-des-Bois (Thierry Petit)

> Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme • Université de Bourgogne-Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

La fruitière de Chapelle-des-Bois transforme environ 2,1 millions de litres de lait provenant de 8 exploitations agricoles. Les pratiques des éleveurs sont très extensives, ils limitent la production à 2 300 litres par hectare et par an. Son terroir se localise à l’extrémité méridionale du département du Doubs et prend la forme d’une sorte d’appendice ceinturé par la Suisse et le Jura.

Son finage peut sans conteste se prévaloir d’une haute valeur environnementale. Ici ce qualificatif n’est en rien galvaudé lorsque l’on prend la mesure de la richesse et du caractère remarquable des milieux naturels qui s’y épanouissent. Cependant, ces hautes terres de la haute chaîne du Jura sont loin d’être commodes pour les éleveurs. L’espace agricole se déploie sur un peu plus de 900 ha, tous situés aux alentours de 1 100 mètres d’altitude. L’hiver y est long, très long. Les vaches rejoignent généralement les étables vers la fin octobre et ne retournent dans les pâturages qu’à la fin avril voire début mai ! La pousse du foin est tardive et si l’été l’autorise une coupe de regain est envisageable en fin de saison. En hiver la neige recouvre les lieux durant de longues semaines pour le plus grand bonheur des pratiquants du ski nordique. Cependant, compte tenu de l’adversité de la nature, les éleveurs doivent engranger de grandes quantités de fourrages pour nourrir le bétail durant six mois et plus. Ils auraient pu se tourner, comme cela s’observe dans d’autres montagnes, vers une intensification de la culture de l’herbe pour conforter leurs ressources fourragères. Toutefois, ils ont délibérément et à bon escient, choisi une autre voie, difficile, ténue, incertaine et se sont fait pionniers dans l’agriculture biologique dès 1976, il y a de cela 45 ans. Leur affineur les a soutenus et encouragés dans cette démarche. Ils avaient compris que l’avenir ne se jouerait plus sur les volumes mais sur la qualité et les valeurs sociales et environnementales des productions alimentaires. Ils étaient des précurseurs.

Le terroir de Chapelle-des-Bois se déploie dans un val étroit bordé à l’est par le massif du Risoux et à l’ouest par celui du Mont-Noir. Il s’agit de plis anticlinaux, c’est-à-dire de monts selon le vocabulaire usuel de la géomorphologie, orientés nord-est sud-ouest. Le massif du Risoux, ici localisé en grande partie en terre helvétique est quasi intégralement recouvert par des sapins et des épicéas. Il culmine à 1 419 mètres au Gros Crêt. Longtemps considérée comme issue d’une simple succession de plis formant des monts et des vals, la haute-chaîne du Jura, étudiée sous le prisme de méthodes de géologie développées au cours du dernier tiers du 20 ème siècle, recèle en fait une grande complexité dont Chapelle-des-Bois n’est en rien exempte :

  • Le pli du Risoux est issu d’un chevauchement et d’un décollement du Jura sous l’effet de la poussée alpine. Aussi, son contact avec le synclinal de Chapelle-des-Bois est brutal. Il le domine d’un peu plus de 200 mètres par un escarpement, une falaise. A ses pieds se trouvent des pentes plus douces recouvertes par une forêt qui se déploie sur des éboulis.
  • L’anticlinal du Mont Noir est moins prononcé, il culmine aux alentours de 1 200 mètres et sépare Chapelle-des-Bois des Grands-Vaux et du Val de Mouthe. Il est lui aussi presque totalement occupé par une forêt de résineux. Il est fracturé par un grand nombre de failles témoignant de l’action successive de différentes poussées tectoniques.
  • Le val de Chapelle-des-Bois semble assez conforme au modelé typique et simplifié du massif du Jura. Cependant, il est lui aussi de nature complexe. Au nord, une faille orientée vers le nord-ouest accompagne la dépression et les prairies de la Combe des Cives jusqu’au pré Poncet et se prolonge jusqu’à Chaux-Neuve. Au sud, le val se poursuit sur le secteur de Bellefontaine. A l’ouest, il prend quelques aises et se confond avec les basses pentes et les lisières du Mont-Noir dans de vastes clairières et des prés-bois. Par-delà cette disposition géographique, l’ensemble est recouvert par des dépôts issus de la fonte du glacier jurassien il y a 12 000 ans seulement. Le val, remblayé par ces matériaux présente plusieurs dépressions au sein desquelles sont installées des tourbières, des marais et les petits lacs des Mortes et de Bellefontaine.

Le peuplement et l’occupation du secteur de Chapelle-des-Bois semblent assez tardifs puisqu’ils remonteraient aux alentours de 1 250. La rudesse et l’isolement du milieu pourraient l’expliquer. A l’époque la localité a pour nom Champion, toponyme aujourd’hui dédié à la roche éponyme située sur la falaise du Risoux face au village. L’occupation du territoire s’organise autour d’un village aggloméré et de fermes et hameaux dispersés occupés soit de façon permanente, soit uniquement l’été lorsque le bétail est au pâturage. L’organisation initiale de l’espace s’est perpétuée puisqu’aujourd’hui Chapelle-des-Bois présente un village aggloméré complété par des hameaux et des fermes à la Combe des Cives, chez Michel, la Beurrière, les Murgers, les Prés Hauts, la grange de Beauregard…

L’élevage est et a été l’activité majeure de la mise en valeur de ce terroir de montagne. Si les tourbières ont été exploitées pour fournir du combustible, peu de céréales furent cultivées par le passé. Il est toutefois signalé qu’au 18 ème siècle on y cultivait un peu de lin et de chanvre pour leurs fibres textiles. En 1824, le Sous-Préfet de Pontarlier dénombre 10 sociétés de fromageries dans la commune (un grand nombre ne sont actives qu’en été) ayant produit 48 tonnes de fromage et 2 tonnes de beurre. En 1851, elles ne sont plus que 4 et produisent 39 tonnes de fromage avec 390 vaches, en 1929, il n’en reste qu’une avec seulement 150 000 litres de lait transformés. En 1955, les 34 exploitations agricoles de la commune disposent de 208 vaches, 120 veaux et génisses d’élevage et 870 hectares de prairies.

A l’aide des documents photographiques de l’Institut Géographique National, il est possible d’apprécier, sur une période relativement longue, les principaux changements ayant trait à l’organisation et à l’occupation du sol. Dans le cas de Chapelle-des-Bois, plusieurs sont visibles :

  • Tout d’abord, les terres agricoles, sous l’effet conjugué de la réduction du nombre d’exploitations agricoles, de l’agrandissement des restantes et des aménagements et échanges de foncier, s’organisent sous la forme de parcelles vastes et étendues compatibles avec la taille des troupeaux et la dimension des équipements contemporains de fenaison.
  • Ensuite, le village s’est étoffé de nouvelles constructions, résidentielles pour certaines, à vocation touristique ou économiques pour d’autres. L’urbanisation est toutefois relative puisqu’elle est limitée et ne s’opère pas au détriment des espaces agricoles.
  • Enfin, le maintien des milieux naturels et de ce que l’on nomme aujourd’hui les infrastructures agroécologiques est remarquable. Le classement de grandes parties du territoire en ZNIEF de type 1, pour les tourbières, des prés humides, des prés-bois et des portions de la forêt, la présence de zones Natura 2000 et l’adhésion au PNR du Haut-Jura participent de cette reconnaissance et dynamique.
Photographies aériennes de Chapelle-des-Bois entre la fin des années 1950 (gauche) et 2020 (droite)

A l’heure où l’on parle d’agroécologie sans pour autant toujours savoir de quoi il retourne, le terroir de Chapelle-de-Bois propose une approche concrète, pratique et opérationnelle du concept. La présence d’une fruitière au sein de ce terroir en constitue l’une des pierres angulaires. Ici l’homme et la nature ont su construire et transmettre un rapport gagnant-gagnant fondé en grande partie sur ce que les écologues, agronomes et géographes qualifient de services écosystémiques.

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