Des pratiques agricoles plus vertueuses, mais un sol extrêmement fragile
Les spécialistes du BRGM* observent que les producteurs de lait à Comté pratiquent une agriculture très extensive par rapport à d’autres régions de France. Mais les sols karstiques du massif jurassien sont si vulnérables qu’il faut redoubler d’efforts pour obtenir des résultats sur la qualité de l’eau …
Quelle est l’influence à long terme de l’évolution climatique et de la présence humaine sur la qualité de l’eau dans le massif du Jura ? C’est à cette question principale – et à d’autres découlant de celle-ci – que les scientifiques tentent de répondre à travers le projet Nutrikarst. Financée notamment par l’Agence de l’eau, cette étude à grande échelle est pilotée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières* (BRGM).
Jean-Baptiste Charlier, hydrogéologue au BRGM et Didier Tourenne, chargé de mission Agronomie Environnement à la Chambre d’agriculture du Doubs/Territoire de Belfort ont présenté les premiers enseignements de la partie agricole de Nutrikarst à la commission technique du CIGC,
réunie mardi 20 juin. Ils ont d’abord fait part de constats :
Une baisse des eaux
Sur le Massif du Jura, la température de l’air augmente de façon marquée depuis 40 ans, l’enneigement est plus faible et l’évapotranspiration des plantes augmente nettement. Le débit de la moitié des rivières du massif jurassien a significativement baissé depuis les cinquante dernières années. Les périodes d’étiage sont plus longues et plus sévères. Tous ces facteurs induisent une baisse de la ressource en eau.
L’agriculture laitière du massif jurassien
Le cheptel bovin est légèrement inférieur en 2020 à celui de 1979 malgré une progression du nombre de vaches laitières depuis 2013 et une baisse significative du nombre de génisses depuis 2018. Dans les fermes, les livraisons d’engrais azotés de synthèse entre 2000 et 2020 ont été divisées par deux. La zone AOP reçoit en moyenne 20 unités d’azote de synthèse à l’hectare (en plus des effluents d’élevage épandus qui représentent en moyenne 40 unités d’azote à l’hectare) sur les 120 unités permises par le cahier des charges actuel de l’appellation. « C’est la traduction d’une fertilisation mieux raisonnée, d’un matériel d’épandage plus performant et d’une meilleure répartition
des effluents d’élevage », constate Didier Tourenne. … mais toujours des nitrates dans les eaux
Malgré ces évolutions, « on n’arrive pas à inverser la tendance des teneurs en nitrates sur le massif du Jura », constate Jean-Baptiste Charlier. Les taux d’azote des rivières de la région, de l’ordre de 6,2 mg/l en moyenne, sont inférieurs à ceux observés dans d’autres régions de France (en moyenne 14 mg/l) et très
en-dessous de la norme sur les eaux de boisson qui est à 50 mg/l. « Vu les pratiques de l’agriculture locale, il serait logique que ces taux soient encore plus faibles. » Pourquoi ne le sont-ils pas ? Parce que les sols superficiels et très superficiels du massif du Jura, dits karstiques, sont extrêmement vulnérables. C’est « le paradoxe jurassien » : une agriculture extensive, un très faible recours à la chimie, des pratiques de gestion des effluents qui s’améliorent sans cesse, mais des effets sur l’eutrophisation qui tardent à se matérialiser en raison notamment du changement climatique qui accentue les transferts de nitrates.
Il faut faire encore plus
Pas d’autres choix, il faut « faire encore plus », constatent les spécialistes des eaux souterraines. Pour eux, il est capital d’activer les différents leviers du cahier des charges* en cours d’instruction, alliés à des pratiques agronomiques comme le maintien des prairies permanentes, l’allongement de la durée des prairies temporaires, la limitation des sols nus, la conversion des parcelles de cultures en prairies. Didier Tourenne ajoute un autre levier : le nombre d’animaux à nourrir. Il invite chaque exploitation à « réfléchir à ses propres leviers d’actions en fonction de son contexte ».
* Rappel des mesures du cahier des charges :
– Plan d’épandage individuel pour tous
– Pas d’épandage avant les 200°C
– Plafond d’azote abaissé à 100 u/ha en cas d’effluents liquides
– 50 % minimum de prairies permanentes sur la surface fourragère
– Plafonnement « à la parcelle ».