Parmi les fromagers de la filière Comté, deux sur trois au moins ont appris les bases de leur métier avec Luc Poirot. Les bases, et peut-être un peu plus…
« Ce que j’aime, c’est susciter des vocations et transmettre une passion », confie ce tout jeune médaillé dans l’ordre du Mérite Agricole. Luc Poirot est responsable, entre autres, et depuis sa création, du certificat de spécialisation “responsable de fromagerie en fabrication traditionnelle” dispensé par les ENIL (Écoles nationales d’industrie laitière) et la filière Comté.
Né en 1948 dans une famille de paysansouvriers à Gerbamont dans les Vosges, il perd sa mère à 13 ans et ne peut continuer ses études. Il entre en apprentissage dans une fromagerie tout en suivant des cours du soir. Ensuite, il s’en vient frapper aux portes de l’ENIL de Mamirolle : elles s’ouvriront vite et pour longtemps. Reçu premier sur 108 candidats au concours d’entrée, les responsables de l’ENIL préféreront le voir rester dans leur mur à l’issue de sa scolarité – dont il sort major. Conseiller technique en fromagerie, il poursuit sa formation pour accéder au professorat en 1975. Enseignant en technologie fromagère, responsable de l’atelier technologique de l’ENIL, il mène parallèlement son activité de conseiller technique.
Il se lie encore plus intimement au Comté en 1993 avec la création du certificat de spécialisation pâte pressée cuite destiné à former les futurs fromagers de la filière. «Nous avons formé la douzième promotion en 2005, et la réception finale des candidats au CIGC est toujours un moment important», confie Luc Poirot. Il aime rien moins tant que de susciter des vocations : «Les élèves veulent faire du laboratoire, de la recherche-développement. Dans les filières industrielles, ils seront d’abord opérateurs sur cuve, ensuite ils monteront peut-être, mais ils auront rarement l’occasion de tout contrôler de l’amont à l’aval. Moi, je leur dis que le véritable créateur de richesses, c’est le fromager. » Et ils auront l’occasion de créer cette richesse dans une région qui peut se targuer « d’avoir su conserver ses fruitières, une race laitière pour fabriquer un grand produit avec un prix de lait intéressant et des emplois valorisants. Qui peut en dire autant ?».
Le pédagogue garde aussi les deux pieds dans le terrain. Il continue à assurer des conseils techniques auprès de 22 fromageries: « Je tiens à le faire pour être toujours dans le coup avec mes élèves. Ce que j’enseigne, c’est ce que je vis tous les jours. Un élève sent très vite si vous connaissez le terrain ou pas. »
Sa position en fait un observateur privilégié. Il a vécu de près la quasi disparition des Comtés ouverts, comme ce mouvement plus récent qui pousse une cinquantaine de fromageries à privilégier le travail du lait à 12°C et non à 4°C. Il peut aussi tâter le pouls d’une profession fromagère qui semble un peu perturbée : « Je crois que les fromagers sont très sensibles aux questions salariales. Pour eux, depuis quelques années, cela semble être devenu très obsessionnel et ils aimeraient un peu plus de sérénité de ce côté-là. Payer moins le fromager permet-il vraiment d’avoir du lait mieux payé? On devrait y réfléchir. »
Animateur de l’amicale des anciens élèves de l’ENIL, pas simplement pour le plaisir des retrouvailles et l’organisation de fêtes qui ont marqué les esprits, mais surtout pour favoriser l’emploi des anciens, promoteur de la féminisation du métier, actif dans le domaine humanitaire, Luc Poirot fromage sa vie avec les mêmes préceptes que ceux qu’il enseigne quotidiennement.