Définition : “La microflore du lait” est l’ensemble des micro-organismes présents dans le lait (bactéries, levures, moisissures).
Les micro-organismes du lait cru sont essentiels pour développer la richesse aromatique du Comté. Les scientifiques ont également montré que cette flore microbienne trouve son origine dans l’environnement de la ferme et diffère d’un lait à l’autre. Chaque lait contribue ainsi à la diversité du Comté. La filière a compris l’intérêt de protéger ce capital, infiniment petit mais irremplaçable !
Des réservoirs de microflore à la ferme
Dans les laits de 16 fermes étudiées sur la zone Comté, on observe une grande diversité microbienne : pas moins de 25 genres bactériens ! L’origine de cette flore microbienne se trouve dans l’environnement de la ferme. Trois réservoirs de micro-organismes ont pu être recensés : la peau des trayons, le matériel de traite et l’air qui véhicule les particules provenant de la paille et du foin qu’on manipule.
« Des flux microbiens ont même pu être clairement mis en évidence dans les étables : par exemple, une souche de Lactobacillus plantarum a été retrouvée dans le foin, dans la poussière, sur les trayons et dans le lait. Nous travaillons maintenant sur l’influence des pratiques des éleveurs sur ces réservoirs», explique Yvette Bouton, chercheur au CIGC.
Le Comté participe à un programme national de recherche dont un volet étudie la litière en hiver mais aussi en été, au pâturage, avec apports possibles de micro-organismes par l’herbe et les végétaux. L’étude a démarré en 2011 et se poursuivra pendant 3 ans.
L’évolution des grands groupes microbiens au cours de l’affinage du Comté
Sur ce graphique, on peut noter qu’une partie importante de la microflore du lait ( lactobacilles mésophiles hétérofermentaires et bactéries propioniques ) pourtant minoritaire initialement se retrouve en quantité suffisante dans la pâte du fromage pour intervenir dans les processus biochimiques de l’affinage.
Jean-Marie DUCRET, technicien au CTFC : «Les producteurs sont acteurs de la qualité du lait.»
«Le CTFC travaille avec ses partenaires techniques (contrôle laitier, chambre d’agriculture, fédération des coopératives laitières, laboratoires) sur la qualité du lait, avec une particularité franc-comtoise : travailler en amont dans les élevages pour que la microflore naturelle du lait reste présente car cette flore intervient dans la typicité des Comté.
Pour la préserver, il faut accepter la présence de micro-organismes sur les mamelles et sur la machine à traire qui vont ensemencer le lait.
Par un ensemble de pratiques en amont (santé des animaux, propreté, conception des machines à traire…), les éleveurs peuvent se passer de la désinfection à la traite qui tuerait toute vie microbienne.
Une fois qu’on a ramassé la microflore, on l’oriente : la conservation du lait de report à 12 °C permet de « booster » la microflore lactique favorable à la fabrication d’un Comté de qualité. De même, s’il y a une anomalie, on la voit très vite.
Le but à atteindre : une microflore équilibrée, favorable à la fabrication de fromage, tout en ayant des laits peu peuplés en germes. Ce que les producteurs de lait à Comté ont réussi à faire !»
Pas de désinfection du matériel de traite
Le cahier des charges de l’AOP Comté interdit l’usage de produits désinfectants et encourage les pratiques d’élevage qui favorisent un lait équilibré en micro-organismes. La sécurité sanitaire est optimale tout en respectant la richesse et la diversité microbienne des laits crus.
Au moment de la traite, l’objectif est d’avoir des animaux en bonne santé, propres et d’utiliser des techniques saines : nettoyage à sec des trayons (paille de bois, papier), lavettes non désinfectantes, utilisation de produit type savon…
Pour les opérations de nettoyage de la machine à traire et du tank à lait, seuls les produits non désinfectants sont autorisés (détergents alcalins ou détartrant, ciblés sur certains germes).
Nettoyer avec “TACT”
L’hygiène de la machine à traire doit faire l’objet de toutes les attentions. Il s’agit surtout d’éliminer les résidus de lait, de tartre et les souillures microbiennes. Un bon rinçage à l’eau claire après chaque traite élimine déjà 95 % des résidus.
Le nettoyage des circuits est automatisé mais l’éleveur doit veiller à respecter la règle du T.A.C.T. : Température suffisante (entre 40 °C et 75 °C selon la phase de lavage), Action mécanique (alternance d’eau et d’air dans les circuits pour créer une turbulence et nettoyer toutes les parties de l’installation), Concentration de la solution de nettoyage, Temps de nettoyage suffisant (une dizaine de minutes).
Christophe Defert, producteur à Chamole (Jura) : «Garder les bonnes bactéries.»
Christophe Defert est éleveur à Chamole (Jura), dans un GAEC de 3 associés et 2 apprentis. Le lait des 85 vaches montbéliardes est livré aux coopératives du Fied et de Plasne. Il nous explique les pratiques mises en place sur l’exploitation pour « garder les bonnes bactéries ».
«Comment respecter la flore du trayon ? On ne peut pas parler d’hygiène du trayon sans parler de l’environnement : le bâtiment, la salle de traite… Les producteurs de lait à Comté savent qu’il faut garder un peu de flore dans le lait. Avoir une passoire assez fine pour garder les bonnes bactéries. C’est un peu plus difficile en Comté car on n’a pas le droit d’utiliser des produits désinfectants mais je pense que c’est possible à partir du moment où l’on respecte cette règle de base : la propreté », indique l’éleveur qui ne lésine pas sur l’huile de coude. Le nettoyage de la salle de traite est fait avec soin, les grilles au sol sont brossées et les tubes frottés au tampon à récurer. Dans le bâtiment, les logettes des animaux sont réglées au centimètre près pour que les vaches ne se salissent pas en se couchant.
Le raclage (2 fois par jour en hiver) et le paillage (pailleuse 3 fois par semaine puis répartition à la fourche) prennent du temps. « Mais c’est autant de temps gagné à la traite sur le lavage des trayons ». Au pré, pas de concentration d’animaux pour éviter le salissement par les bouses. « La clé c’est la propreté ». L’éleveur attache aussi de l’importance à la conception du matériel de traite qui doit être « simple, facile à nettoyer, bien réglé », les gobelets trayeurs sont changés tous les ans. Les capteurs lui ont été utiles pour détecter une baisse de température. « On lave à 80 °C ! Un seul lavage par jour le matin et un rinçage le soir».
Du côté sanitaire, l’éleveur ne fait pas d’hygiène à outrance : les trayons sont juste nettoyés à la lavette. « Les mesures sont renforcées si un problème se présente. On n’est pas des modèles et on n’est jamais à l’abri de s’être trompé ou d’un mauvais réglage de la machine à traire…»
Antoine Berodier, directeur du CTFC : «La recherche sur la microflore du lait : une thématique fondamentale pour garder un lien au terroir.»
Le CTFC participe à des travaux nationaux sur l’écosystème microbien du lait. De quoi s’agit-il ?
Ces travaux sont réalisés dans le cadre du Réseau mixte technologique “Fromages de Terroirs” qui regroupe, au niveau national, des organismes techniques et scientifiques. Nous faisons émerger les besoins des filières, des programmes de recherche en commun. Par exemple, depuis plusieurs années et d’abord de façon informelle, un groupe de travail s’est mis en place sur l’écosystème microbien du lait.
C’est une thématique fondamentale pour les fromages qui veulent garder une authenticité, un lien au terroir. Le fil rouge : qu’est-ce qui constitue l’écosystème, d’où vient-il, par quels flux, quel est son importance vis-à-vis du produit ?
Quelles sont les actions menées par ce groupe de travail ?
Des séminaires de 2-3 jours sont organisés pour les techniciens de ferme, au niveau national tous les 2 ans ; 4 séminaires ont eu lieu dans des régions chaque fois différentes. Ces rencontres permettent de confronter deux mondes, celui de la technique et celui de la recherche, et de créer des échanges. Un ouvrage de synthèse de 129 pages vient de paraître, sous le titre : “Microflore du lait cru” et fait la somme des connaissances actuelles sur ce sujet.
Rédigé par un collectif d’une vingtaine de rédacteurs issus du groupe, il est destiné aux techniciens de terrain, mais peut aussi intéresser les producteurs, fromagers et affineurs.
Un programme de recherche est en cours. D’une durée de 3 ans, il porte sur différents volets : approfondir les connaissances, améliorer les méthodes d’évaluation de la microflore et adapter les méthodes d’intervention en ferme ; il s’agit par exemple d’avoir les bons arguments pour amener les producteurs à améliorer la microflore positive du lait. Car, en 30 ans, on est souvent passé d’un extrême à l’autre : d’un lait chargé en germes à un lait sans plus aucun germe du tout.
Cette démarche sera menée avec des techniciens et sociologues ; tout un pan de transfert de connaissances passera par des modules de formation, des plaquettes d’information…
La filière Comté s’intéresse depuis longtemps à la microflore du lait cru…
Un volet auquel le CTFC s’intéresse particulièrement, c’est maintenir un écosystème microbien du lait favorable à la fabrication des fromages. Cette démarche existe depuis plusieurs dizaines d’années en Comté.
Ainsi, ces 30 dernières années nous avons beaucoup travaillé sur la qualité globale : faire des Comté corrects, bons, sans défauts ; il a d’abord fallu réduire les germes dans le lait et sécuriser les fabrications… Depuis quelques années déjà, on travaille plus en subtilité pour produire des Comté riches et diversifiés en arômes, haut de gamme.
L’important, pour la typicité, c’est aussi de ne pas casser la chaîne : il ne suffit pas que le producteur fasse l’effort d’avoir une bonne microflore, il faut que les intervenants suivants la préservent et la révèlent. À ce niveau, on connaît mal l’impact de certaines pratiques fromagères. L’écosystème de la fromagerie fera certainement un jour l’objet d’une étude.
Un suivi avec le CTFC.- En plus des analyses de lait (suivi sanitaire et paiement à la qualité), 1 400 producteurs des filières AOP sont en contrat avec le CTFC.
Le technicien du CTFC leur apporte une expertise au niveau du choix du matériel et de son nettoyage (respect des 4 critères TACT). Des capteurs sont installés pour vérifier les températures et les temps des phases de lavage.
Les fromageries ont aussi opté pour un suivi des laits des producteurs. Des tests de lactofermentation permettent d’observer la nature et l’équilibre de la flore bactérienne du lait. « Les résultats sont bons avec une majorité de laits “gélifiés” (type yaourt) contenant une flore lactique dominante qui permet de faire des Comté de qualité », constatent les techniciens du CTFC.
8 plaquettes éditées.- Une série de plaquettes ont été éditées par le CTFC sur les techniques de nettoyage de la machine à traire, les flores spécifiques, la lactofermentation…
Elles seront entièrement réactualisées en 2012 et complétées par 2 nouvelles plaquettes, l’une sur les économies d’énergie et le respect de l’environnement, l’autre sur la conception des machines à traire pour préserver ce réservoir de la microflore.
Cette connaissance du terrain permet d’ailleurs au CTFC d’apporter des préconisations au niveau national auprès des constructeurs de machine à traire.