Foncine-le-Haut, paradis des passionnés de géologie
Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme
Université de Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049
La fruitière de Foncine-le-Haut se localise dans la partie haute des Montagnes du Jura. Son terroir appartient au Jura des Grands Vaux. L’ensemble est bordé à l’ouest par le massif de la Haute-Joux et à l’est par celui du Mont-Noir. Tous deux forment deux grands anticlinaux entre lesquels, du nord de Mouthe au sud de Saint-Laurent-en-Grandvaux se déploie une longue mais étroite dépression formant un vaste synclinal. Il résulte de cette disposition générale du relief la production d’une topographie et des paysages emblématiques de la géomorphologie du massif du Jura. Pour schématiser, il s’agit d’un val encadré par deux monts. Cependant cette description semble quelque peu sommaire tant cet ensemble est riche en particularismes qui révèlent la grande complexité du massif jurassien. Ces monts sont érodés et ainsi équipés de combes, de crêts, de cluses, tronçonnés par des puissantes failles de décrochements perpendiculaires à des plis de chevauchement. Le val est quant à lui l’objet de nombreux dépôts qui attestent du passage et de l’action des glaciers qui ont recouvert le Jura au cours de l’ère quaternaire. L’ensemble est un véritable paradis pour les amateurs et passionnés et géologie.
La commune de Foncine-le-Haut est très étendue puisqu’elle se déploie sur presque 2 900 hectares. Seule sa partie centrale, située dans le val, accueille le peuplement, les principaux équipements de circulation, les activités économiques et bien sûr l’agriculture et l’élevage. Le reste du territoire est occupé par la forêt et quelques prés bois. L’espace communal s’organise comme suit :
– A l’ouest, le massif de la Haute-Joux marque la frontière avec le plateau de Nozeroy. Il est organisé par l’anticlinal des Planches-en-Montagne. Il a pour principaux sommets les crêts du Bulay (1 125 m) et du Croz Mont (1 212 m). Il accueille la remarquable et spectaculaire combe d’Entre-Côtes. Cet ensemble conserve encore une fonction agricole en accueillant quelques prairies formant des clairières au sein des plantations de résineux. Le paysage prairial s’est refermé au profit de la forêt (il y avait environ 110 ha de prés en 1958, aujourd’hui, il en reste à peine 40). Il en est de même pour les prés bois dominant le val de Foncine. Toutefois, les clairières du Pré Audin, des Arboux et de la Sometta subsistent. La côte du Bayard (retombée de l’anticlinal vers le val de Foncine) est occupée par des pelouses sèches parsemées de broussailles. Cet ensemble est réservé à du pâturage extensif ;
– A l’est, le contact avec le massif du Risoux se limite aux vigoureux versants du Mont Noir dont la ligne de crête culmine aux alentours de 1 200 m. Il est entièrement boisé à l’exception des pâtures situées au lieu-dit Sur les Gits ;
– Au centre, se trouve le val de Foncine. Il occupe environ 1 300 ha et forme une cuvette aux altitudes comprises entre 900 et 1 000 mètres. Au pied de la côte du Bayard la rivière la Saine (affluent de l’Ain) prend sa source. Elle creuse une étroite vallée qui progressivement incise le val sur une profondeur de 50 à 70 mètres. Le paysage est ouvert et doucement vallonné. Les prairies sont dominantes dans l’utilisation du sol. Si le val s’organise sur une alternance de roches calcaire et de marnes, il comporte en de nombreux endroits (1/4 de sa surface) de vastes accumulations de matériaux déposés par le glacier jurassien lors de ses phases de retrait (entre -20 000 et -10 000 ans avant notre ère).
Le finage de Foncine-le-Haut s’est organisé autour d’un système d’habitat semi-dispersé et de champs nos clos. Par le passé, les cultivateurs ont tiré profit de ces hautes terres froides et bien arrosées (1 250 mn par an) en installant des fermes et des hameaux répartis au sein du val. Cependant, la Saine a très rapidement guidé une certaine densification du bâti et permis de former une agglomération. La route reliant les Planches-en-Montagne à Mouthe emprunte l’axe de la rivière et l’homme a employé la force motrice de l’eau pour animer des moulins et des scieries.
Aujourd’hui, l’habitat agricole est toujours dispersé au sein du finage. Cependant il n’est plus exclusif. De nombreuses résidences servant à l’habitat ou au tourisme se sont construites. Elles ne procèdent pas d’un mitage de l’espace puisqu’elles semblent s’organiser en hameaux/lotissements à l’image des chalets de la côte du Bayard ou des maisons récentes au Berthet, au Bas de la Ville ou au Mouillot. La population communale dépasse légèrement les 1 000 individus.
Le tissu économique local est dense. Outre l’agriculture (une dizaine de fermes) et une fruitière, les activités artisanales et commerciales sont présentes, notamment celles en lien avec le tourisme (le village est un haut-lieu du ski nordique -110 km de pistes-, possède une petite remontée mécanique pour de ski alpin et son école de ski). Il compte aussi plusieurs entreprises industrielles. Si par le passé des horlogers étaient installés à Foncine, aujourd’hui, les PME s’activent dans la fabrication de machines-outils pour la plasturgie, de matériel médico-dentaire et des emballages pour l’industrie laitière et fromagère. Concernant cette activité, la commune accueille un site de production du groupe Lacroix (dont est siège est situé à quelques kilomètres à Bois-d’Amont), spécialiste mondial de l’emballage des fromages et des produits laitiers et un fabricant de boîtes de Mont d’Or (Juraboîtes).
La présence de l’élevage et des fromageries est très ancienne. Dans le dictionnaire des communes du Jura d’Alfonse ROUSSET (Tome III publié en 1855, page 119), il est mentionné que les fruitières avaient été détruites par les guerres et épidémies liées à la conquête française de la Franche-Comté à la fin du 17ème siècle. L’auteur indique ensuite qu’en 1769 l’intendant de la province limita par ordonnance, à trois, le nombre de fruitières sur le territoire de Foncine-le-Haut. Les statistiques récoltées aux archives départementales du Jura permettent de démontrer la vitalité de la production fromagère du val de Foncine. En 1853, dix chalets produisaient un fromage de type gruyère réputé « de très bonne qualité ». En 1871, les neufs chalets de la commune ont produit 55 tonnes de gruyère et 6 tonnes de chevret (un fromage au lait de chèvre ou de mélange chèvre/vache selon les disponibilités) avec un cheptel de 510 vaches et 92 chèvres. A cette époque, le gruyère était vendu 1,3 F/kg et le chevret 0,8 F/kg. L’écart de prix très favorable au gruyère explique sans doute l’arrêt progressif de la production de fromage au lait chèvre. Le prix du gruyère interpelle. Il apparaît être relativement élevé et témoigne que dès cette époque le collectif des fruitières permettait de conserver la valeur ajoutée du fromage sur le territoire. Pour s’en rendre compte, il convient de prendre en considération qu’à Paris, le fromage (tous types confondus) se vendait au prix de 2 F/kg et qu’un ménage disposait d’un revenu moyen journalier de seulement 5,37 F (G. RENAUD, Journal de la société statistique de Paris, tome 14 (1873), p. 176-185). En 1953, il reste 4 fromageries à Foncine, en 1971, elles ne sont plus que deux et puis une en 1989. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais un noyau de producteurs du val ne put se résoudre à une restructuration de la fruitière qui consistait à rejoindre un atelier de grande capacité de production plus en aval dans la vallée de l’Ain. Comme pour conjurer le sort, ils prirent le parti de se baptiser « fruitière des rebelles ». Aujourd’hui, cette coopérative transforme le lait de huit exploitations localisées à Foncine-le-Haut, Châtelblanc (village voisin situé dans le Doubs), Bellefontaine et Les Chalesmes. Ensemble ils produisent et font transformer environ 2,2 millions de litres de lait par année. Il s’agit d’une petite fruitière qui valorise du lait produit de façon extensive. La productivité laitière en témoigne, elle atteint environ 2 800 litres/ha.
La production de fromages de garde dans le val de Foncine dispose d’une antériorité de plusieurs siècles. Il aurait sans doute plu à Lacuzon, natif de Longchaumois et farouche opposant à l’annexion de la province par le royaume de France, de savoir que l’esprit de résistance n’est pas éteint dans les montagnes du Jura où des fromages s’élaborent selon des méthodes ancestrales, mais aussi selon des règles uniques en leur genre, « gravées dans le marbre » d’un cahier des charges incessamment perfectionné.