Lecture de paysage : Échevannes, en surplomb de la puissante reculée de la Loue
Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme
Université de Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049
Le terroir de la fruitière d’Echevannes (Doubs) s’étend sur les finages des communes de Durnes, Echevannes, Guyans-Durnes, Ornans et Voires. Il est communément dénommé Plateau de la Barêche. Situé sur le premier plateau du massif du Jura (surface dite d’Ornans) il domine de plus de 300 mètres la puissante reculée de la Loue. Sa bordure est entaillée par des reculées secondaires, perpendiculaires à la Loue, qui s’enfoncent parfois sur plusieurs kilomètres dans la masse du plateau (vallée de Brême, ruisseaux du Désillot, de Cornebouche, de Vau, d’Athose…).
La fruitière d’Echevannes est constituée par dix exploitations agricoles qui produisent environ 2,8 millions de litres de lait par an et utilisent 750 hectares de surfaces agricoles. Elles organisent un finage en champagne (openfield) dans lequel s’inscrivent de nombreuses haies, bosquets et arbres isolés.
Le plateau d’Ornans n’est pas une surface strictement plane. Au contraire, outre les entailles des reculées, il est l’objet de plusieurs déformations liées à la présence de failles, de douces ondulations produites par la mise en mouvement de la masse calcaire sous l’effet de la formation du massif du Jura et de l’érosion karstique.
Le terroir de la fruitière d’Echevannes s’organise en deux unités agro-paysagères.
La première correspond aux finages du plateau de la Barêche (8 exploitations de la fruitière y sont localisées) : les villages de Durnes, Echevannes et Voires (ainsi que Lavans-Vuillafans) forment historiquement une communauté unie au sein de la grande paroisse de la Barêche (Saint-Hippolyte-les-Durnes). Ils ont pour particularité de posséder en commun une église, un cimetière et un monument aux morts localisés en rase campagne au centre du plateau, à l’écart de toute zone habitée. Dans l’ensemble, l’habitat s’organise en villages groupés, cependant les fermes contemporaines aménagent des bâtiments d’élevage fonctionnels et modernes en dehors des ensembles agglomérés.
Un regard « géo-agronomique » permet de percevoir une organisation intéressante de cet espace agricole :
Au centre du plateau, le relief très plat offre au regard une mosaïque de grandes parcelles où les prairies dominent et alternent avec des cultures de céréales fourragères. Les altitudes sont proches de 600 mètres, le sol se développe sur des calcaires du Séquanien. Quelques haies et bosquets s’observent mais ces éléments n’ont jamais été importants en ces lieux, sans doute en raison de sols plus profonds et moins caillouteux.
En bordure des falaises des reculées de la Loue et de ses digitations secondaires d’une part et sur les sols développés sur une ondulation du plateau entre 650 mètres et 700 mètres d’altitude, sur des roches du Kimméridgien d’autre part, seuls des prés sont présents. Ils laissent apparaitre de nombreux affleurements rocheux. Les sols sont minces et les parcelles comportent soit des haies sur les murgers (comme au Ban de Durnes) ou des arbres et des bosquets sur des amoncellements de pierres (Prés des Rappes à Echevannes). Ces terrains superficiels, occupés par des prairies permanentes sont destinés au pâturage, soit des génisses (parcelles éloignées), soit des vaches laitières lorsqu’ils sont proches des lieux de traite. D’ailleurs, plusieurs constructions récentes de stabulations semblent privilégier cette façon de faire : prés de fauche et cultures fourragères au cœur du plateau, pâturages des vaches laitières dans les prairies permanentes aux sols superficiels.
La seconde unité agro-paysagère est singulière puisqu’elle correspond à un lambeau de plateau qui surplombe Ornans. Les reculées de la Brême, de la Loue et du ruisseau du Désillot délimitent un finage occupé par les fermes dites du Château d’Ornans qui se raccordent à l’ensemble du plateau éponyme par un « isthme » forestier de quelques dizaines de mètres de largeur (au Saut du Chevalier). Les fermes sont dispersées, l’altitude moyenne est de 540 mètres, les sols sont développés sur des calcaires du Séquanien.
Il est intéressant d’observer l’évolution du système agricole et des paysages au cours de soixante dernières années.
Il apparaît tout d’abord que le nombre d’exploitations s’est fortement réduit. En 1955, il était dénombré pour les villages d’Echevannes et Voires 24 exploitations valorisant 400 hectares avec 180 vaches laitières. A l’époque chaque maison du village était une ferme qui hébergeait le cheptel et le fourrage. Il s’agit principalement de fermes blocs dites pastorales soit en pignon soit en gouttereau (avec un toit en demi-croupe).
Ensuite il est constaté une extension importante de la forêt dans certains quartiers. Les prairies pentues et les anciennes vignes localisées dans les reculées qui bordent le plateau sont abandonnées. Soit la friche, soit des boisements prennent leur place. Sur le rebord du plateau, là où les sols sont minces, les prés bois d’autrefois ont laissé la place à des plantations (entre Durnes et Montgesoye).
Enfin, le paysage s’est complètement recomposé sous l’effet du remembrement des terres agricoles. L’openfield en lanière est devenu une mosaïque de parcelles polygonales formant des ilots compatibles avec l’emploi de la machinerie agricole, notamment lors des travaux de fenaison. Il semble qu’un certain nombre de haies ont été enlevées lors de ces aménagements fonciers cependant, il convient de relativiser ce phénomène car d’une part il existe toujours beaucoup de haies dans les parcelles fortement empierrées et les haies d’aujourd’hui ainsi que les arbres isolés ont un volume bien supérieur par comparaison à la situation décrite par les photographies aériennes de 1956.
Pour conclure, le terroir du plateau de la Barêche donne à voir un paysage typique des premiers plateaux du massif du Jura. Il connaît actuellement un certain optimum socio-économique qu’il convient de relier à des considérations agro-écologiques. La position en surplomb de la vallée de la Loue et de ses affluents appelle à un bon usage des effluents d’élevage. Les investissements réalisés par les éleveurs vont dans ce sens comme en témoignent les couvertures des fumières et les dimensions des ouvrages de stockage. La possibilité de cultiver des céréales fourragères permet d’assurer une grande autonomie alimentaire aux exploitations qui limitent les achats extérieurs et participent d’une utilisation peu intensive de l’espace agricole.