Le « tour des fruitières », ancêtre de notre comptabilité

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Ni ordinateur, ni calculette. Juste deux morceaux de bois imbriqués : c’était l’outil qui présidait la comptabilité des fruitières dès la fin du XVIIIe siècle.

Un logiciel connecté ? Connoi pas. Aux premiers temps de la coopération, lorsque les paysans ont mis en commun leur lait pour fabriquer des fromages
de garde de belle taille, comment ont-ils fait pour être rémunérés proportionnellement à la quantité de lait qu’ils apportaient ? Par la méthode du tour des fruitières et grâce à un objet appelé « taille », comme l’explique l’expert-comptable Christian M. Pecqueur dans son ouvrage* dédié au sujet. Qu’est-ce que la taille, véritable logiciel de comptabilité d’antan ? Simplement deux bâtons de bois qui s’emboîtent parfaitement et sur lesquels le fruitier (fromager), qui réceptionne le lait des paysans, appose des marques. Les X, inscrits pour moitié sur l’un des bâtons et pour moitié sur l’autre, représentent les dizaines de litres. Les barres marquées en bas des bâtons indiquent une unité (un litre). Le grand bâton est conservé par le créancier, qui sera tour à tour le fruitier ou l’agriculteur, tandis que le petit bâton est gardé par le débiteur.
Le lait prêté, puis rendu en fromage.

Le lait prêté, puis rendu en fromage

Au terme des deux traites du matin et du soir, le fruitier regarde quel associé a la plus grande créance. Admettons qu’il s’agit de Pierre. C’est donc à son tour de recevoir le fromage du jour. Paysans et fruitier additionnent alors toutes les livraisons de lait du jour et soustraient à cette somme le lait fourni par Pierre. Le résultat de cette soustraction est la dette de Pierre à la société, qu’il remboursera chaque jour futur en fournissant du lait à la collectivité. Pierre finit donc par rembourser peu à peu sa dette et le lait qu’il fournit vient de nouveau
en créance. Le jour où sa créance est redevenue la plus forte de toutes, c’est à nouveau son « tour » de recevoir le fromage. D’où le nom de « tour des fruitières ». Cette comptabilité « boisée » a sans conteste contribué au succès du concept de fruitière et au progrès de l’agriculture. Charles Lullin, l’un des premiers à décrire avec précision la méthode dans un ouvrage paru en 1811, assurait alors : « Dans beaucoup de pays, la plupart des cultivateurs ne connaissent pas les chiffres, cette ignorance les rendoient inquiets et défians sur la tenue de leur compte par le fruitier. Pour remédier à cet inconvénient, on a imaginé une manière de tenir la note des livraisons de lait qui ne suppose aucune connaissance de chiffres ». Pas de chiffres, mais une belle ingéniosité permettant par ailleurs d’éviter tout recours à la monnaie. C’était, somme toute, une dématérialisation de l’argent et des factures avant l’heure !

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