L’affineur tient entre ses mains le travail de ceux qui le précèdent, agriculteurs et fromagers, avec la responsabilité de le valoriser auprès des clients.
L’ affineur est garant de tout l’ouvrage effectué en amont. C’est une dimension importante ! « Connaître les gens qui m’ont précédé et avoir des relations humaines avec eux est très enrichissant », explique Lionel Mourot, chef de caves
chez Monts & Terroirs.
Affineur n’est pas un métier mais plutôt une dizaine appartenant à des mondes variés où le respect des normes, la logistique, les délicates questions de transport et la relation commerciale côtoient le savoir-faire artisanal des cavistes et de leur chef de cave.
La quinzaine d’entreprises d’affinage a une mission bien définie, décrite dans le cahier des charges du Comté : entretenir des relations avec les fruitières et réceptionner les fromages en blanc, les peser, les préaffiner, les affiner, les trier en fonction du cahier des charges de l’AOP et de ceux des clients, puis les préparer à la vente et les commercialiser. Derrière cette énumération simple, se cache une nuée de compétences, la première étant de révéler le potentiel aromatique des Comté.
Le client finit bien souvent dans nos caves, une sonde à la main
C’est l’aspect que l’on connaît le mieux, le soin des fromages : retourner et frotter les meules, les sonner, les sonder … Autour de ces gestes clés du chef de cave, il y a tous les autres : ceux qui lavent les planches d’épicéa, ceux qui trient les fromages, ceux qui étiquettent, apposent la bande de surmarquage et mettent en carton. Ceux qui reçoivent les demandes clients et ceux qui les traitent, ceux qui analysent les Comté pour assurer leur suivi sanitaire, ceux qui s’assurent que les fromages sont bien arrivés au bon endroit et à la bonne heure, etc. Cette fourmilière passionnée n’oublie jamais sa reine : le Comté. « On ne vend pas un prix, mais un fromage de qualité », disent tous les affineurs rencontrés. Selon ces hommes et ces femmes, « le client finit bien souvent dans nos caves, une sonde à la main pour goûter le Comté ». A cet instant, plus besoin d’autre argument commercial que la démonstration d’une filière passionnée par son produit.
Un chef d’entreprise, un manager
« Il faut savoir acheter, gérer, vendre et peser l’impact de chaque décision sur ces trois domaines », explique Véronique Rivoire, Pdg de la maison Rivoire-Jacquemin.
Comment abordez-vous votre rôle de chef d’entreprise d’affinage, que vous exercez depuis 1992 ?
« Avec la vive conscience de devoir assurer le revenu des quarante salariés et celui des agriculteurs qui travaillent avec Rivoire-Jacquemin. Je m’entoure pour cela de personnes compétentes, notamment dans des domaines que je maîtrise moins, et capables de faire vivre l’entreprise au cas où j’en serais empêchée. »
Est-ce un seul métier ou plusieurs ?
Clairement plusieurs ! Il faut savoir gérer une entreprise, acheter et vendre un produit en pesant l’impact de chaque décision sur ces trois piliers. Pour rester fidèle à ses choix et les réaliser, il est nécessaire de bien se connaître, d’avoir conscience de ses forces comme de ses failles. Ecouter et comprendre est aussi important que trancher. Il faut se faire son propre avis, au milieu d’un flot d’opinions différentes et d’organismes extérieurs qui ont parfois une vision erronée de notre métier. Il est important de ne pas s’isoler, de ne pas s’enfermer dans des habitudes, mais de garder et de défendre ses convictions.
Quelles sont les problématiques d’une entreprise d’affinage ?
Les mêmes que celles des autres sociétés, je suppose … Recruter dans des villes qui n’attirent pas : pas d’infrastructures, pas de médecins, pas de trains grandes lignes, des TER bondés, pas de travail pour les conjoints, ni d’université pour les enfants. Dans nos métiers de savoir-faire, qui s’acquiert et se transmet au fil du temps, nous apprécions que les jeunes générations soient mieux formées, très réactives et rapidement adaptables. Elles proposent un autre point de vue et cela booste tout le monde. Le changement de générations apporte beaucoup, mais il faut veiller à garder un équilibre entre le savoir-faire, l’esprit maison des anciens et la fraîcheur, l’impatience des nouveaux.
Qu’est-ce qui a changé en trente ans dans le quotidien des maisons d’affinage?
Le formalisme, les normes, l’obligation des certifications pour conserver certains marchés. Notre façon de contractualiser les relations aussi … Avant, donner sa parole suffisait ; ne pas la tenir aurait été déshonorant. Aujourd’hui, les contrats sont écrits. L’esprit ancien perdure avec les « vieux clients ». Seule la confiance nous guide et pousse à nous dépasser.
Coopérative/affineur, un lien solide
La relation qui se joue entre l’affineur et les coopératives laitières est significative de l’organisation solidaire du Comté.
Les 140 coopératives laitières de la zone AOP ont presque toutes un contrat d’au moins trois ans renouvelable avec un ou plusieurs affineurs à qui elles confient leurs fromages en blanc, afin qu’ils en assurent l’affinage et mettent les Comté en marché. Chaque affineur travaille avec quinze à quarante coopératives, dirigées par les agriculteurs.
Dans cette relation commerciale, humaine et technique, aucune des parties ne s’enrichit sur le dos de l’autre. C’est ce qui donne envie aux producteurs (via leurs coopératives) et aux affineurs de travailler ensemble pour atteindre un but commun : vendre le meilleur Comté au meilleur prix pour une juste rémunération de leurs labeurs. A sa maxime « Nous sommes tous chefs », la filière Comté associe un goût de l’effort, une exigence partagée. Bertrand Henriot, directeur technique de la maison d’affinage Arnaud depuis dix ans, constate que « la confiance entre la coopérative et son affineur est réciproque et se construit au fil des ans ». Lors du classement des fromages, qui permet de définir le taux de rémunération des producteurs, chacun sait que la qualité des fromages sera récompensée à sa juste valeur. Et si d’aventure certains aspects de la fabrication devaient être améliorés, l’affineur a la certitude que la coopérative retroussera ses manches pour faire le nécessaire.
Des moments de vie partagée
En somme, si l’un réussit, l’autre aussi. Et si l’un défaille, l’autre a tout intérêt à l’aider à se relever … Ce système économique solidaire crée un lien social fort. « Une coop qui a un souci de personnel ou de matériel appellera son affineur pour chercher des solutions. De même, si elle envisage d’investir ou d’embaucher un nouveau fromager, elle aura le réflexe de demander notre avis », assure Bertrand Henriot. Un départ en retraite d’un président ou d’un fromager, certains anniversaires ou encore l’assemblée générale de la coop sont autant de moments où l’affineur est convié. « Une médaille au Salon de l’agriculture crée toujours un intense sentiment de fierté qui unit la fruitière et son affineur », illustre M. Henriot, qui apprécie ces moments de fête entre «collègues » du Comté.
Bâtisseur de « monuments-caves »
Face à l’augmentation des volumes et l’évolution du goût des consommateurs vers de plus vieux fromages, les entreprises d’affinage procèdent, depuis 1990, à l’agrandissement régulier de leurs caves.
Avoir la place suffisante pour faire mûrir patiemment leurs meules est un des principaux enjeux des affineurs de Comté. Depuis 30 ans, le marché se développe à la fois en volume et en âge : de 28 400 tonnes de fromages par an vendus à 3 mois en moyenne en 1990, les maisons d’affinage en affinent désormais 70 000 tonnes, vendues en moyenne à 10 mois. « Lorsque des fromages auparavant vendus à 4 mois le sont désormais à 6 mois, il faut 50 % de places supplémentaires en caves », illustre Christophe Lancien, le responsable de l’entreprise aux côtés de son épouse, Isabelle Seignemartin.
Tous les cinq ans environ, les caves Seignemartin s’agrandissent. Chaque chantier dure en moyenne 18 mois et requiert de gros investissements financiers. « Nous empruntons sur quinze ans et remboursons trois prêts simultanés. Quand un prêt est clos, nous lançons un nouveau chantier, nécessaire pour fournir à nos clients les fromages qu’ils ont commandés plusieurs années auparavant. Au départ, nous augmentions notre capacité de 4000 places, puis de 8 000 afin de réaliser des économies d’échelle. Fin mars, nous avons débuté notre dernier projet d’agrandissement avec 24 000 places supplémentaires pour un total de 100 000 places », explique le chef d’entreprise.
Une aventure technique et humaine
Pour cette belle aventure de bâtisseurs, les affineurs peuvent compter sur l’appui d’un précieux « homme de l’ombre » de la filière Comté : Claude Meynier. L’architecte du cabinet dolois Artica a dirigé bon nombre de chantiers de nouvelles caves dans la région. « Il connaît parfaitement les attendus de notre secteur d’activité, gère les délais, organise le chantier avec le concours d’entreprises de confiance », assure Christophe Lancien. Il faut en effet assurer la marche en avant des produits, respecter les normes très strictes en matière de sécurité incendie et apporter des astuces architecturales qui faciliteront le travail des affineurs au quotidien. Ces projets de construction réjouissent Christophe Lancien, qui se réserve environ une journée par semaine à l’organisation du chantier. Il aime faire naître « ce beau monument » distribuant 28 allées de 2 000 meules, impressionnant avec sa superbe voûte intérieure en mélèze de 100 mètres de long. « Mon grand plaisir ? Voir le sourire et les yeux ébahis de nos clients lorsqu’ils pénètrent dans nos caves. »