Revivre l’épopée des premières organisations de fruitières est une chance que nous offre la fruitière de Boujailles, à travers des archives minutieusement conservées. Une histoire qui nous replonge plusieurs siècles en arrière…
La fabrication des fromages est une activité très ancienne sur toute la zone AOP Comté et dans cette région du Haut-Doubs. En effet, une série de textes signale la présence de fruitières dès la fin du XIIIe siècle. Il faudra attendre plusieurs siècles avant que ce type d’association ne connaisse une véritable expansion.
Au XIXe siècle, chaque commune comptait plusieurs fruitières. De manière générale, une par quartier et une dans la plupart des hameaux. En 1838, il y avait 8 fruitières à Boujailles. Leur nombre a oscillé au fil des années. Le recensement de 1873 fait état de 5 fruitières, transformant chacune le lait de 70 à 140 vaches (11 livreurs par fruitière), soit une production de 10 000 à 23 000 kg de fromage par an, payé à l’époque 84 francs du demi-quintal de fromage (environ 6 euros/kg*).
À l’origine, la fruitière n’était pas le bâtiment tel qu’on le connaît aujourd’hui mais une forme originale d’organisation. Ce n’était pas alors le lait qu’on livrait à la fromagerie mais le fromager qui allait de ferme en ferme avec son matériel. Le fromage se faisait donc chez le sociétaire qui détenait le “tour”, ce “tour” étant défini en fonction du volume d’apport de chacun.
Les paysans de la fruitière apportaient leur lait chez celui qui avait « le tour ». C’est la proximité des fermes et la taille du chaudron (donc la quantité de lait pouvant être travaillée), qui définissaient le nombre de producteurs de la fruitière.
Ce système comportait plusieurs inconvénients, notamment les risques d’incendies des fermes.
À Boujailles, lors de la réunion du conseil municipal du 17 février 1861, le maire expose que «pour prévenir les cas d’incendies dans la commune et pour conserver la salubrité dans les habitations, il serait d’avis de construire des chalets dans les 3 quartiers de la commune.»
Sur fond de crise mondiale
Il faudra attendre encore quelques années pour que le “chalet” s’impose comme un système moderne de production. Le processus sera accéléré par la Grande Dépression de la fin du XIXe siècle, et les turbulences qui l’accompagnent (crise bancaire, crise agricole…), et plus localement par la concurrence des fromages suisses.
En 1906, les agriculteurs de Boujailles décident de construire une nouvelle fromagerie. Initialement prévu sur l’emplacement des bains douches au centre du village, le chalet sera finalement construit à mi-chemin entre les hameaux du haut et du bas, à son emplacement actuel, rue du Crêt.
Pour le fonctionnement, les paysans apportaient leur lait à un acheteur qui travaillait dans les locaux, affinait et vendait pour son compte. Ensuite, il payait le lait.
Ce système a perduré jusqu’en mars 1946. À partir de cette date, les statuts de la coopérative changent et la fromagerie passe en société de fabrication et vente de fromage en blanc (non affiné), système qui fonctionne encore aujourd’hui.
En 1964, la commune vend le chalet à la société coopérative. En 1978, le chalet est agrandi et modernisé. La mise aux normes européennes est réalisée en 1994.
À noter : en 1913, la plus grosse journée de production au cours de l’année, le 12 juin 1913, était de 1 200 kg pour 63 sociétaires, ce qui fait une moyenne de 8 kg par coulée et par producteur.
En 1947, les 56 sociétaires ont livré 571 000 kg de lait, payé en moyenne 13,47 francs/kg (environ 70 centimes d’euro*).
De 1946 à nos jours, 6 fromagers se sont succédés aux commandes de l’atelier et 12 présidents ont dirigé la société depuis sa création, en 1906… Une belle aventure humaine qui continue encore aujourd’hui !
*Transformation du franc d’une année en euro 2011 en intégrant l’inflation (source INS). Ainsi, le pouvoir d’achat de 13,47 F en 1947 est le même que celui de 0,70 € en 2011.
«Un Comté qui prend son temps…»
La fruitière de Boujailles vend sur place des fromages de garde qui ont au minimum 1 an. « Notre Comté met du temps pour prendre du goût. …n vieillissant, il développe souvent de petits cristaux, qui ne sont pas du sel* et que certaines personnes aiment sentir ».
Sur place, pas de véritable magasin mais un point de vente aménagé et ouvert tous les jours de l’année.
La vente est surtout locale. « Le marché est déjà bien occupé par les fruitières alentour. Développer un magasin suppose d’avoir du personnel supplémentaire, bien formé, dont c’est le métier, et qui a envie de rester ! », estime le président de Boujailles.
Les sociétaires ont donc préféré se concentrer sur la production, avec un fromager qui donne pleinement satisfaction, et en investissant régulièrement dans leur atelier.
Les derniers aménagements sont encore tout frais. Ils ont concerné le remplacement du carrelage, du matériel de moulage et pressage et du système de froid.
*Ces cristaux sont composés d’un acide aminé : la tyrosine.
La randonnée des fruitières : une aventure commune
La 9e Randonnée des Fruitières à Comté du plateau de Frasne et du val du Drugeon, était organisée cette année à Boujailles. Dimanche 20 mai, plus de 1 800 personnes ont emprunté les sentiers balisés pour l’occasion, à pied, à cheval ou à VTT et 2 000 repas ont été servis.
Cette randonnée familiale, imaginée au départ par les fruitières, allie découverte des villages et dégustation de Comté. L’organisation locale repose sur l’investissement de bénévoles des 10 villages de la Communauté de communes, des associations de Bouverans et Bonnevaux et des fruitières de Frasne, Boujailles, la Rivière Drugeon, Courvières et Bouverans. « La convivialité de ce rendez-vous est essentielle », souligne Joseph Masson, président de la fruitière de Boujailles, qui avait déjà accueilli l’événement en 2005.
Une particularité à noter : à partir de cette année, l’organisation fonctionne en binôme, avec un village n’ayant pas de fruitière. « Le binôme Boujailles-Bulle a parfaitement fonctionné. C’est comme tout, il faut savoir s’ouvrir», estime Joseph Masson.
La Fruitière de Boujailles en bref
17 sociétaires : à Boujailles, Frasne, Courvières, Chapelle d’Huin-Le Souillot
Président : Joseph Masson
Fromager : Philippe Meunier
Second fromager : Thierry Mouge
Apprenti : Virgile Vuillemin
Ramasseur-saleur : Loïc Vuillermet
Affineur : Coopérative l’Ermitage
Litrage : 4,19 millions de litres transformés en Comté
Contact :
Fromagerie de Boujailles – 2 rue du Crêt – 25560 Boujailles – 03 81 49 31 96