Le maillon central de la filière Comté a de tout temps mis la main à la pâte et l’histoire n’est pas prête de s’arrêter.
Depuis les années 70, avec l’agrandissement des ateliers et l’augmentation des exigences sanitaires, les besoins en fabrication se sont accrus et le métier de fromager a opéré une conséquente évolution. L’essence même de la profession demeure : le fromager doit sentir l’odeur du lait, voir sa couleur, sa texture, s’adapter à lui, évaluer la souplesse et la résistance du caillé à la main. « Il faut tout à la fois une belle sensibilité, des connaissances biochimiques et s’intéresser à la provenance des laits », résume Xavier Gigon, coordinateur de la licence professionnelle Fromagerie de terroir pour les Enil de Mamirolle et Poligny.
Cependant, aujourd’hui plus encore qu’hier, du fait de l’augmentation des volumes de lait transformé et de la diversité des productions (Morbier, Mont d’Or et Bleu de Gex), l’exigence est de mise : une fabrication mal gérée peut signifier une perte financière importante. C’est pourquoi les formations proposées par les ENIL ont elles aussi évolué et se sont ouvertes aux nouveaux besoins : des modules d’enseignements sur les nouveaux outils pour le chauffage, le soutirage et le pressage ont vu le jour, ainsi que des cours de maintenance préventive sur les appareils automatisés. Mais là où certains ont choisi la voie de la standardisation, la filière Comté et ses homologues du Massif jurassien ont au contraire tout misé sur davantage de finesse et de savoir-faire. Ainsi, la licence professionnelle « Fromagerie de terroir », conçue par l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, les ENIL de Mamirolle et Poligny, le CIGC et le Centre Technique des Fromages Comtois se concentre sur l’apprentissage des technologies fromagères sous cahier des charges AOP et inclut des enseignements dédiés au concept de terroir (lire aussi ci-dessous).
« Une vocation »
Le métier est finalement mal connu alors qu’il est porteur d’avenir : les fromagers expérimentés, qui arrivent à la retraite, laissent place à une jeunesse à qui ils ont transmis leurs connaissances. Car diplôme ou pas, dans ce milieu artisanal, on mise beaucoup sur les qualités humaines et la transmission des savoirs. Les sociétaires cherchent avant tout des fromagers ou aide fromagers volontaires, motivés, courageux et autonomes. Et dans ce milieu très ouvert mais exigeant, le bouche-à-oreille fonctionne à merveille…
Relativement bien payé mais difficile, le métier de fromager est surtout l’aboutissement d’une vocation. Ceux qui l’ont choisi ne rechignent pas aux taches difficiles (malgré la réduction de la pénibilité permise par les équipements des ateliers), aux horaires compliqués et au travail un dimanche sur deux… De nombreuses reconversions sont observées chaque année : des graphistes, directeurs de banque, journalistes ou cadres dans la distribution s’orientent vers cette profession noble, porteuse de sens et de fierté, celle de transformer le lait des producteurs en un produit sous signe de qualité.
ÉTUDES : du CAP à la licence, une solide formation !
Les Ecoles Nationales d’Industries Laitières proposent des cursus allant du CAP au BP en passant par le BTS jusqu’au CS (Certificat de Spécialisation) ou à la licence professionnelle.
Le métier de fromager s’apprend autant à l’école qu’en fromagerie, puisque ces formations requièrent une pratique professionnelle dans laquelle l’enseignement en alternance, sous le statut d’apprenti est recommandé. « Cette alternance école/fromagerie est un modèle efficace qui résiste au temps », se réjouit Pascal Bérion, enseignant-chercheur responsable pour l’Université de Bourgogne-Franche-Comté de la licence « Fromagerie de terroir ». Cette formation universitaire diplômante, née en 2008 en remplacement du CS Fromagerie traditionnelle (créé dans les années 90 par le CIGC et l’ENIL pour fournir des fromagers compétents à la filière), est tout spécialement dédiée à la transformation fromagère du lait cru de manière artisanale. Elle reprend les enseignements de l’ancien CS complétés par de nouveaux modules sur les outils modernes, la maintenance, le management, mais aussi sur l’organisation des filières et la notion de terroir.
En 2016, un module « traite » a permis aux 18 étudiants (dont la moitié sont des filles) de participer activement à la traite, au soin des animaux et à la gestion des installations. Histoire d’éprouver que la patte de l’éleveur est aussi importante que celle du fromager !
RECHERCHE : FROM’MIR, pour maîtriser la fromageabilité des laits
Le projet de recherches, démarré fin 2014, devrait aboutir en 2018.
Conseil Elevage 25-90 a lancé un projet de recherche, nommé FROM’MIR, visant à développer des outils de prédiction et de conseils pour maitriser la fromageabilité des laits destinés à la fabrication des fromages AOP/IGP de Franche-Comté. Les spectres moyen infrarouge (MIR) du lait seront valorisés, en lien avec la composition fine des laits, pour développer des équations de prédiction de la fromageabilité.
Cela permettra d’étudier précisément les différents facteurs de variation de la fromageabilité à trois échelles : animal, élevage (lait de tank), fruitière (lait de mélange), et de mettre au point de nouveaux outils de mesure et de conseil. Le chef de file de ce projet multi partenarial est Conseil Elevage 25-90 et le chef de projet, l’Institut de l’Elevage.
Fin 2014 puis courant 2015, 570 vaches Montbéliardes issues des trois départements de la zone AOP/IGP de Franche-Comté ont été finement sélectionnées, afin de prélever puis d’analyser individuellement leurs laits. Cette première étape a permis d’identifier les variants génétiques des protéines du lait des animaux.
En 2015, 200 laits de troupeaux et 110 laits de cuve ont été sélectionnés, prélevés et analysés afin, entre autres, d’estimer la composition en protéines et minéraux de ces laits de mélange à partir du spectre MIR. Trois critères ont été retenus permettant d’étudier la fromageabilité des laits : le rendement fromager en laboratoire, l’aptitude à la coagulation et l’aptitude à l’acidification.
Témoignage : Hubert Michel, de la géographie à la fromagerie
Le fromager de Mièges a passé une licence de géographie, avant de travailler dans la restauration en Haute-Loire. Puis, le Comté l’a pris dans ses filets…
Hubert Michel a embrassé la profession de fromager à 26 ans, en 2000, après avoir fait des études de géographie et travaillé durant trois ans dans une auberge de Haute-Loire, en restauration. « J’ai découvert le Comté sur le plateau de fromages que je servais et j’ai tout de suite été très attiré par les valeurs de la filière. J’avais lu un article sur le fromager de Mouthe et l’imaginaire autour de ce monde m’a plu ! »,raconte aujourd’hui le fromager d’expérience. Lui qui hésitait entre le vin du Jura et le Comté a choisi le fromage pour son empreinte traditionnelle.
Après un BTS adulte en un an, il a débuté en tant que second à la fromagerie de Lavigny, avant d’arriver à Mièges en 2003. « Mon père était artisan charpentier. J’ai hérité de son goût du travail physique et manuel, parfois dur. J’ai beaucoup aimé travailler seul à mes débuts et aujourd’hui, j’aime travailler avec des gens motivés. Rares sont les jeunes apprentis fromagers dépourvus de motivation ! Nous avons la chance d’avoir un métier dans lequel nous sommes très autonomes dans l’organisation et les choix techniques, tout en n’étant pas propriétaires des installations : c’est un statut très intéressant… ».
Moins de pénibilité, plus d’expertise
Et puis, le fromager « grande bouche », c’est terminé. « Avant, le fromager devait assurer son autorité vis-à-vis des producteurs. Maintenant, nous sommes davantage dans l’échange et l’ouverture : personnellement, je me sers par exemple beaucoup du CTFC (Centre Technique des Fromages Comtois) pour avancer ».
Cette année, grâce à la fusion avec Rix-Trébief, une nouvelle fromagerie va voir le jour et Hubert a déjà réfléchi à rendre tous les postes « féminisables ». Comprenez que les manipulations des fromages seront réduites au minimum, un atout pour l’emploi féminin, mais aussi un confort plus grand pour tous. « Passés 40 ans, on ne pense plus tout à fait comme avant ! », sourit le fromager qui pointe un paradoxe : « La concentration des fermes induit celle des fromageries : on perd forcément de la typicité de terroir, de l’identité même. Mais cependant, on a tous envie de bénéficier d’installations modernisées, permettant un travail moins pénible, rendues possibles grâce à la mutualisation des moyens… Je crois que la main est aux producteurs : ils ont hérité d’un système, à eux de voir ce qu’ils veulent en faire »
Relève : Adrien Vernier, second fromager à Lavigny
Le jeune homme de 22 ans, son bac S en poche, se demandait quelle carrière débuter. Fils de charpentier, il avait pensé faire géomètre. Finalement, c’est le métier de fromager qu’il a choisi.
Comme sans doute pas mal de collègues seconds fromagers du même âge, Adrien Vernier a d’emblée annoncé la couleur aux copains : « La fiesta, c’est un week-end sur deux, parce que l’autre, je travaille ! » Cette contrainte, tout comme le fait de débuter ses journées à 3h du matin, n’a pas entamé la volonté du jeune homme de devenir fromager. Second de Samuel Rietmann à Lavigny, Adrien boit les paroles du maître depuis plusieurs années : il a effectué son stage de BTS à la fromagerie de Lavigny avant d’enchaîner sur la licence professionnelle « Fromagerie de terroir » en alternance, toujours au même endroit. Le fromager de cette coopérative, transformant pas moins de 8,5 millions de litres de lait en Comté, Morbier (dont des gammes bio), raclette et tome, lui a tout appris. Adrien plaisante : « C’est mon Dieu pour l’instant ! »
Embauché il y a neuf mois, le jeune Lédonien a choisi ce métier un peu par hasard, mais depuis il adore partir du lait et aboutir au fromage. Son moment préféré ? Evidemment le décaillage ! « C’est le geste emblématique du fromager. Quand beaucoup de choses s’automatisent, le travail en cuve doit rester manuel… » Avec Samuel Rietmann, Adrien découvre les mille savoirs du fromager et quelques astuces. « Selon les périodes, il faut un caillé plus dur ou plus doux. Il faut sentir, voir, toucher. Le caillé doit être brillant, anguleux ; le sérum ni trop vert, ni trop blanc. Ensuite, on vérifie sur les analyses pour savoir si notre ressenti était le bon ! » Adrien aime ce métier car il n’est pas routinier. « Ce n’est jamais ennuyeux, chaque jour est différent. » Mais a-t-il l’ambition de devenir maître-fromager un jour ? « Ici, avec autant de productions différentes, ça me parait compliqué. Mais reprendre plus tard une petite coopérative, pourquoi pas. J’irai où le vent me mène ! »