Durant l’été 2018, certains secteurs du Doubs ont cruellement manqué d’eau. Les partenaires des filières AOP fromagères du Massif du Jura se mobilisent pour prévenir cette difficulté.
L’été dernier, avec la sécheresse, une véritable « course à l’eau » a eu lieu sur certains secteurs du Sud et du Nord-Est (Pays de Montbéliard, Maîche) du Doubs, qui ont connu des situations tendues pour l’abreuvement des cheptels. Les camions-citernes des fruitières ont même été « réquisitionnés » pour alimenter certains villages. Les producteurs ont dû activer des « plans B » dans l’urgence, qui ont parfois conduit à des difficultés sanitaires. Les partenaires des filières AOP fromagères du Massif du Jura* s’accordent sur la nécessité de prévenir une nouvelle situation du genre et souhaitent mettre en place des plans d’abreuvement, à l’échelle des exploitations, des communes et des départements.
Ainsi, environ 150 captages inutilisés ont été identifiés sur le département du Doubs (données de l’Agence Régionale de Santé). Il s’agit de ressources abandonnées par le passé, qui ne seront pas toutes exploitables. Mais cela donne une base de travail. En lien avec la DDT, la Chambre d’agriculture du Doubs va compléter cet état des lieux dans le courant de l’été en réunissant les producteurs des secteurs concernés pour connaître les solutions que certains ont déjà mises en place. En effet, les zones en tension étaient souvent très localisées et il suffirait peut-être de connecter des circuits déjà existants.
L’eau brute, qui proviendra de ces nouvelles sources hors du réseau public, devra être systématiquement analysée et si nécessaire traitée (lire ci-dessous). Car une eau d’abreuvement de qualité est un enjeu majeur des filières fromagères au lait cru !
* CIGC, URFAC, CTFC, ARS, GDS, FRCL, Chambre d’Agriculture, Conseil Départemental, DDT.
Au champ, s’assurer de la qualité de l’eau
Comment éviter la contamination pathogène durant le pâturage d’été ?
La question de l’eau d’abreuvement ne concerne pas seulement les bâtiments d’élevage, mais aussi l’eau dans les champs, pendant la saison de pâturage. En période de restriction, les éleveurs sont amenés à réutiliser des sources, des rivières ou des installations de stockage. Cette eau, hors réseau public, doit être analysée (potabilité, Listeria, Salmonelles) et en cas de résultats non conformes, traitée par UV ou par chloration à diffusion lente, avec une dose et un temps de contact adaptés. Attention, la chloration peut s’avérer inefficace sur une eau trop chargée en matière organique. Par période de forte chaleur, la vigilance doit être accrue.
Par ailleurs, l’accès aux points d’eau stagnants permanents doit être empêché par la mise en place de clôtures, tout comme l’accès aux rivières sans aménagement.
Quelles actions mettre en oeuvre ?
Commencer par une analyse des ressources, comprenant un Plan prévisionnel d’abreuvement :
• identifier la ressource en eau en quantité et en qualité, par îlot de parcelles
• analyser les ressources en eaux utilisées sur l’exploitation
• veiller à la couverture des besoins des animaux
Définir ensuite une ou plusieurs actions prioritaires :
• traitement de l’eau : choix d’un système adapté, conseil en installation et contrôle de son efficacité
• Maintenance préventive des systèmes de traitement et entretien des canalisations
• Diagnostic de captage
• Analyse et amélioration de la chaîne de distribution de l’eau : stockage, transport, distribution …
• Aménagement des points d’abreuvement
• Entretien des points d’abreuvement : propreté des abreuvoirs
Pourquoi traiter l’eau hors réseau ?
Les fromages au lait cru ont besoin de ces précautions pour l’eau de nettoyage et l’eau d’abreuvement.
L’été, les animaux peuvent être amenés à boire l’eau naturelle (bassin, rivière, pluie) ou l’eau prélevée en fontaine. Ces eaux, lorsqu’elles sont hors du réseau public, risquent d’être contaminées par des salmonelles ou listeria. Il convient donc de les traiter avant distribution, car si un animal est contaminé, il peut être infecté ou porteur sain de bactéries avec des risques possibles sur les produits. D’où la nécessité d’une vigilance accrue durant la période de pâturage.
Chez Badoz, de nouvelles installations
A la fromagerie Badoz, qui fabrique Comté, Morbier et Mont d’Or, on est même allé plus loin en traitant aussi l’eau de réseau. « Bien sûr, la première chose à faire, c’est de mettre en place un protocole d’hygiène de traite effi cace, explique Vincent Badoz. Mais, bien que les éleveurs travaillaient efficacement sur la partie traite, tenue du bâtiment et du troupeau… des problèmes survenaient épisodiquement et de manière ciblée géographiquement. Nous en sommes venus à la conclusion qu’un des points sur lesquels nous n’avions pas encore assez travaillé était l’eau. Nous avons donc fait installer cet été, chez cent producteurs, une petite station de traitement de l’eau d’abreuvement, qu’il s’agisse d’eau du réseau ou d’eau de récupération, à l’image de celle qui existait déjà chez quelques-uns de nos agriculteurs depuis plusieurs années. » L’eau est traitée par DCCNa, qui est une source stable de chlore libre. Elle ne sent pas le chlore et reste donc appétente, selon Vincent Badoz, qui ajoute : « Si nous mettons en place ces installations, très simples d’entretien, c’est avant tout pour préserver le lait cru. Moins on aura de problèmes, plus on pourra le défendre face à la pression sanitaire. »
Des aides financières face aux changements climatiques
Des subventions au pastoralisme et à certains aménagements favorables sont proposées par l’Europe, l’Etat et la Région.
Les aides au pastoralisme ont pour objectif de maintenir le paysage et de conserver le patrimoine naturel du Massif du Jura et des Vosges. Les propriétaires d’alpages (notamment) peuvent en bénéficier dans le cadre d’un appel à projets. Ces aides, financées par l’Etat (Commissariat à l’Aménagement du Massif du Jura), la Région Bourgogne Franche-Comté et l’Europe (Feader), sont accordées pour des travaux visant à faciliter l’abreuvement des animaux, l’accès à la ressource en eau, sa protection et sa distribution. Le plancher de dépenses éligibles est fixé à 7 500 € et le plafond à 250 000 € (partie abreuvement). Douze dossiers ont été financés depuis 2016 pour un montant de subventions d’environ 205 800 €. Ces dossiers concernaient des réfections / création de citernes, la mise en place de clôtures, l’aménagement d’un réseau de canalisations d’eau, etc.
Le PCAE (Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations), mis en place par l’Europe (Feader), l’Etat et les Régions inclut des nouveautés pour soutenir les adaptations au climat : les cuves de récupération d’eau de pluie (comme le stockage de fourrage et le séchage en grange solaire) sont bonifiées dans la notation des dossiers.
A Reculfoz, ils ont créé un site d’alpage autonome en eau et en électricité
Après le rachat en juillet 2016 d’un chalet d’alpage et des 54 ha qui l’entourent, Anaël et Quentin Michaud ont mis en place un système d’alimentation en eau.
La sécheresse de l’an dernier a eu le mérite de faire fonctionner à plein régime les méninges des frères Michaud et de leur père, Denis ! Ceux-ci avaient déjà mis en place un système d’alimentation en eau partant de la ferme, au village, sur chaque parcelle de leur GAEC des Héloïmes, pour économiser du temps, de l’énergie et du gasoil. « On s’est dit qu’il fallait faire pareil sur notre site d’alpage », assure Anaël, rejoint par son petit frère Quentin, installé depuis le 1er avril 2017. Les jeunes producteurs ont d’abord clôturé leur propriété, entourée de pré-bois et forêts. « Durant les fortes chaleurs, on ouvre aux vaches de temps en temps pour qu’elles mangent dans les clairières fraîches, avec l’autorisation des forestiers. Le pâturage périodique de nos animaux entretient et maintient une forêt ouverte ». Puis, les frères ont aménagé un chemin traversant tous les parcs, pour faciliter le pâturage tournant dynamique. Ils ont ensuite mis en place un réseau d’eau sous pression permettant de poser un abreuvoir tous les 200 m. Voilà, il ne manquait plus que l’eau et l’électricité ! Ironie, c’est évidemment là que la réflexion s’est corsée.
Eau de pluie et eau de puits
« Trois puits existaient dont deux bien placés. Ils fournissent de l’eau de ruissellement et de nappes superficielles, déjà un peu filtrée naturellement », expliquent Anaël et Quentin. Cette eau est pompée dès que possible avec une pompe de forage (débit de 5 à 8 m3/h) et complétée par l’eau de pluie récupérée du toit. Ces deux eaux – environ 70 % d’eau de puits et 30 % d’eau de pluie – sont mélangées et stockées dans le ballon tampon enterré devant le chalet. « Quand celui-ci est plein, le trop-plein se déverse dans notre poche souple pouvant contenir jusqu’à 150 000 l, soit 30 jours d’autonomie. »
Pour alimenter les bassins d’abreuvement, un surpresseur (couplé à un variateur électrique pour le démarrage du surpresseur via les panneaux solaires) aspire l’eau du ballon tampon et l’envoie en pression dans le réseau, après l’avoir épurée par une filtration à 1 micron et un filtre à UV. La pression dans le réseau est maintenue entre 3 et 4 bars par le surpresseur qui redémarre automatiquement si la pression chute en dessous de 3 bars. L’électricité provient d’une petite installation photovoltaïque sur le toit. L’installation couvre les besoins des 45 vaches laitières et le nettoyage de la salle de traite à raison de 4 à 5 m3 d’eau / jour. Pour sécuriser le système, les deux frères vont bientôt faire forer à 60 m de profondeur, là où un sourcier a déniché une source d’eau. Car rester plus d’un mois sans voir tomber une seule goutte est désormais une crainte légitime : l’été dernier, il n’a pas plu du 15 juin au 25 août, sauf un court orage le 18 août.
L’installation a bénéficié de fonds européens à hauteur de 40 %.