L’herbe fraîche et le foin séché sont les principales sources d’alimentation des vaches laitières en filière Comté. Pas d’ensilage, ni d’aliments industriels compliqués et encore moins d’OGM. Une position ferme, contraignante, mais essentielle pour garder ce lien au terroir qui fait la force du Comté.
L’herbe, associée à des compléments à bases de céréales et tourteaux, riches en énergie, sont les meilleurs alliés de l’éleveur car ils répondent aux besoins physiologiques naturels de la vache. Et la flore des prairies apporte la garantie d’un Comté aux multiples arômes…
Mais la culture de l’herbe est soumise aux conditions climatiques. Aucune année ne se ressemble. Il faut sans cesse s’adapter, pour le pâturage, pour la récolte de fourrages… S’adapter au temps, observer ses animaux, pour produire un fromage de terroir.
Afin d’accompagner l’éleveur, le CIGC a mis en place une commission “aliments du bétail”. L’interprofession assure également des contrôles auprès des fabricants d’aliments. Exigeant, le cahier des charges de l’AOP pose quelques règles strictes d’alimentation (surface en herbe par vache, quantité d’aliments complémentaires, etc.). Autant de garde-fous pour que le Comté reste une production locale, portée par des exploitations agricoles de type familial, qui, chacune à leur manière, entretiennent cette culture de l’herbe. Et le paysage qui va avec !
L’engagement des éleveurs
L’alimentation du troupeau laitier est encadrée par le cahier des charges de l’AOP. En adhérant à ce cahier des charges, l’éleveur s’engage sur plusieurs points :
une identification annuelle des surfaces fourragères pouvant être consacrées à l’alimentation du troupeau avec, au minimum, 1 ha d’herbe par vache
• le plafonnement de la productivité laitière par hectare avec un maximum de 4 600 kg de lait/ha
• le chargement du cheptel laitier de l’exploitation ne peut être supérieur à 1,3 UGB/ha* de surface fourragère
• pas de zéro pâturage mais un pâturage effectif ; l’affouragement en vert est limité à un repas quotidien
• une limitation de l’alimentation complémentaire à 1 800 kg par vache et par an
• une fertilisation organique des prairies sous contrôle
• le maintien d’une flore variée dans les prairies
• une liste précise de matières premières complémentaires
• pas d’ensilage ni de fourrage enrubanné (sous film plastique) sur l’exploitation.
• pas d’aliments transgéniques
• le mélange entre les aliments complémentaires et le fourrage grossier haché n’est pas autorisé lors de la distribution d’aliments au troupeau laitier
*Les animaux d’élevage peuvent être évalués en unités de gros bétail UGB (1 vache adulte = 1 UGB) selon une grille d’équivalence (par exemple 1 génisse de moins d’un an = 0,3 UGB)
Patrick Duboz, président de la commission Aliments du bétail du CIGC : « La commission veille au grain »
Le CIGC a mis en place une commission spécialisée “aliments du bétail” composée de représentants de la filière Comté et des fabricants d’aliments travaillant sur la zone AOP. Interview.
«Quel est le rôle de la commission “Aliments du bétail” ?
Patrick Duboz : Le monde agricole évolue sans cesse : de nouvelles façons de nourrir son troupeau, de nouvelles façons d’acheter les aliments, de nouvelles compositions de rations… La commission “Aliments du bétail” du CIGC doit se tenir au courant de ces évolutions, les évaluer et veiller à ce qu’elles ne constituent pas un danger pour la filière. Des contrôles sont mis en place. Ils sont nécessaires pour chacun, fabricants d’aliments et producteurs, car ils garantissent la conformité au cahier des charges du Comté. Il faut faire attention car la retombée la plus néfaste serait la perte de confiance des consommateurs !
La commission a mis en place une liste d’aliments “agréés”. De quoi s’agit-il exactement ?
L’aliment agréé est produit par un fabricant d’aliment qui s’est engagé à respecter un règlement technique précisant le type de matières premières à utiliser et leur taux d’incorporation dans l’aliment.
Cette réglementation permet aux éleveurs d’avoir un aliment de qualité optimum qui viendra compléter la ration de base de leurs bovins. Cet aliment contrôlé et sa composition a été définie avec des techniciens du contrôle laitier, des chambres d’agriculture et des fabricants d’aliments pour être parfaitement adaptée aux besoins des animaux. De plus, il garantit aux éleveurs le respect du cahier des charges AOP Comté.
Il existe également une liste de matières premières “autorisées” ?
Nous ne sommes pas une filière intégrée. Chaque exploitation est autonome et l’éleveur gère l’alimentation de son troupeau en valorisant ce dont il dispose pour produire un fromage qui soit l’expression d’un terroir. La liste des matières premières autorisées répond à la même logique : laisser le choix aux exploitations, en répondant aussi au souhait des éleveurs qui veulent valoriser les matières premières produites sur l’exploitation sans en acheter d’autres ou en acheter pour complémenter les leurs et faire ainsi leur propre ration. L’éleveur doit s’assurer de travailler avec des fournisseurs sérieux qui tiennent à leur disposition tous les justificatifs des contrôles, notamment que l’aliment n’est pas étiqueté OGM* comme cela est demandé par la filière Comté.»
* Selon la réglementation générale, l’aliment doit être étiqueté OGM dès lors que des traces d’OGM sont détectables par l’analyse.
Quelle autonomie protéique en filière Comté ?
Le colza : une source de protéines ?- Il y a 2 ans, un essai de substitution du tourteau de soja par du tourteau de colza a été mis en place sur une exploitation du Jura. Cet essai était piloté par le Contrôle laitier du Jura pour répondre à une interrogation du CIGC : quelles sont les conséquences du remplacement du soja par du colza ? Avec, en arrière-plan, la difficulté grandissante de garantir un approvisionnement suffisant en tourteau de soja non OGM.
« Cette étude s’est révélée très intéressante car elle a permis de mettre en avant les qualités déjà connues, mais souvent décriées, du tourteau de colza, comme correcteur azoté des rations foin, résume Pierre-Emmanuel Belot du Contrôle laitier du Jura. Au-delà de la pure approche technique, le tourteau de colza a un bon potentiel de production local, ce qui permet de réduire la dépendance au soja importé. De plus, le tourteau de colza est bien meilleur marché que le soja. Les références de l’institut de l’élevage situent son prix d’intérêt à 80 % du prix du soja. Sur le marché actuel, le tourteau de colza est vendu dans une fourchette de 65 à 70 % du tarif du soja. » Tout miser sur le tourteau de colza serait limitatif car, l’espoir est aussi que s’organisent localement des filières d’approvisionnement en protéines (soja de pays, luzerne etc.).
«Avec l’herbe, l’éleveur exprime son savoir-faire».- L’étude colza citée ci-dessus est très spécifique et ne représente en rien l’emblème de l’autonomie. « Il ne faut pas aborder l’autonomie par le petit trou de la lorgnette. La première source d’autonomie des exploitations de la filière, c’est l’herbe, rappelle Pierre-Emmanuel Belot. Fourrage magique, peu coûteux, équilibré, local et “propre”. À titre comparatif, on sait que l’herbe pâturée coûte sept fois moins cher que du maïs ensilage ! » Mais c’est vrai que l’herbe, ça se cultive, c’est “vivant” donc de qualité parfois variable. Avec ce fourrage, l’éleveur exprime son savoir-faire.
Un adage dit du pâturage que « c’est l’art de faire se rencontrer la vache et l’herbe au bon moment ». Le spécialiste du pâturage de l’INRA (Luc Delaby) dit aussi que l’éleveur herbagé est un artiste. Cette culture de l’herbe donne une vraie valeur au métier d’éleveur.
Le contrôle des aliments : Composition et qualité à la loupe
Contrôle de la composition des aliments.- Chez les fabricants, Éric de Lamarlière, technicien du CIGC, s’assure que les aliments vendus aux producteurs de lait à Comté respectent bien la liste des matières premières autorisées. Pour les aliments agréés, sont vérifiés, en plus du nombre de céréales, le nombre de sources de protéines et les équilibres entre les matières premières. Ces contrôles sont faits facilement grâce aux étiquettes des aliments, mais le CIGC a également accès aux compositions enregistrées dans les programmes de fabrication et aux suivis des fabrications.
> Contrôle de l’absence d’OGM.- Le contrôle exercé par le CIGC concerne aussi les garanties apportées par les fabricants vis-à-vis des OGM. Pour cela, Éric de Lamarlière effectue des prélèvements pour analyse chez les fabricants ou en ferme. En cas de résultat non conforme, il recherche chez le fabricant les sources de contamination de l’aliment.
Les fabricants peuvent utiliser différentes sources de soja et la présence de soja OGM dans certaines usines est souvent à l’origine des résultats non conformes. Il faudrait alors que le fabricant sépare ce soja OGM des fabrications d’aliments pour le Comté. « Mon travail est de mettre en évidence où les séparations n’ont pas été suffisantes dans l’usine et de pousser les fabricants à améliorer leurs pratiques », indique le technicien.
> Contrôle de la qualité butyrique.- Les fabricants réalisent des autocontrôles de leurs matières premières et de leurs aliments. Le CIGC exerce également un contrôle. Ce dispositif est mis en place pour que les aliments ne soient pas une source de contamination du lait.
Ces contrôles se font au rythme de 1 à 3 fois par an chez chacun des fabricants d’aliments agréés et de 1 à 3 fois tous les 2 ans chez les autres fabricants. Une réunion avec les fabricants d’aliments agréés a lieu 2 fois par an au CIGC pour discuter des aspects techniques de la composition des aliments et pour mettre en commun les résultats des contrôles.
Témoignages
L’EARL des Chemins Verts mise sur l’herbe
L’utilisation d’aliments produits localement, voire sur les exploitations, est une source d’économie et renforce l’image d’une filière de terroir. Comment gagner en autonomie alimentaire pour le troupeau ? Exemple chez Aline et Didier Burri au Latet (Jura).
EARL des Chemins Verts. L’exploitation d’Aline et Didier Burri, au Latet, porte bien son nom. L’herbe est au coeur du système de production de cette ferme qui livre 300 000 litres de lait à Comté par an à la coopérative de Vers-en-Montagne. Les 82 ha de prairies et les 8 ha de céréales (orge d’hiver, pois-triticale, blé) permettent de nourrir un troupeau de 40 vaches laitières et leur suite. Le troupeau est alimenté à partir d’herbe pâturée en été et de foin et regain durant la période hivernale.
Depuis 2006, suite à un voyage organisé en Suisse par le Contrôle laitier du Jura, les éleveurs ont mis en place un pâturage libre tournant pour les vaches laitières avec une complémentation très réduite. La priorité est donnée à la production de regain, plus riche en protéine, pour disposer d’un fourrage qui permette de limiter l’apport de concentrés azotés en hiver.
« Pour améliorer l’autonomie alimentaire et diminuer le coût de la ration, nous achetons peu de tourteau. Nous préférons utiliser un mélange de tourteaux de soja (23 %), tourteaux de colza (20 %), drêches de blé (7 %), luzerne déshydratée (40 %) et maïs plante entière (10 %) auquel nous ajoutons la moitié d’orge produit sur l’exploitation », explique Didier Burri.
Valoriser le pâturage, réduire le temps de travail
Grâce à un parcellaire regroupé, 65 ha sont situés autour du bâtiment, il a été possible de découper une grande parcelle d’herbe en petites parcelles d’environ 1 ha. « Il suffit d’ouvrir et de fermer les barrières et de laisser les vaches aller toutes seules », explique Didier Burri. Les vaches pâturent sur la parcelle une nuit et un jour de “pleine pâture” et une demi-journée de “temps de pression”, ce qui permet aux vaches de ne pas laisser trop de refus. Pendant l’été, les vaches ne reçoivent pas de foin, sauf exception car le but est de valoriser au maximum l’ingestion de l’herbe. Avec ce système, le niveau de production est resté stable (6 600 litres par vache et par an) mais la quantité d’aliments complémentaires distribuée a pu être diminuée. « Nous distribuons 1,5 kg d’orge et 1 kg de mélange* par jour et par vache de mai-juin jusqu’au 15 août et 1,8 kg durant les mois d’automne. » À rapprocher des 18 kg d’herbe ingérés par jour !
*Quantité annuelle d’aliments complémentaires : 1 400 kg par vache et par an dont 600 kg en été, ce qui correspond en moyenne, sur l’année, à 210 g par litre de lait produit.
Fabrice Cuenot : « Bousculé dans mes habitudes »
Chez Fabrice Cuenot, aux Combes (près de Morteau), les mangeuses d’herbe ont de beaux jours devant elles. Sur cette exploitation de 82 ha de prés et produisant 230 000 litres de lait, les vaches sont sélectionnées aussi sur la capacité à ingérer de l’herbe.
Des vaches à haut potentiel et un système de pâturage type “néozélandais”. C’est le choix fait par Fabrice Cuenot, producteur de lait à Comté et qui a d’ailleurs intrigué la délégation bretonne venue le rencontrer sur son exploitation (lire ci-contre). Un système encore peu développé en Franche-Comté qui concerne une trentaine d’exploitations mais qui commence à interroger éleveurs et techniciens. L’objectif : faire confiance à la ration de base (herbe), tout en gardant un objectif de production avec des quantités de complément identiques pour toutes les vaches et, bien sûr, en respectant les règles de l’AOP Comté.
L’ancien commercial d’aliment…
L’objectif de production par vache est lié à l’historique de l’exploitation. En 2005, à la reprise de l’exploitation familiale, l’éleveur est confronté à l’obligation de construire un nouveau bâtiment d’élevage aux normes, un investissement important. « Pour baisser les coûts, il fallait optimiser la taille du bâtiment en diminuant le nombre d’animaux et en maximisant la production par vache. » Un événement sera déterminant dans l’évolution de l’exploitation : la participation à une formation sur la conduite du pâturage avec la Chambre d’agriculture du Doubs. « Les intervenants m’ont bousculé dans mes habitudes, moi l’ancien commercial d’aliments du bétail et fils d’éleveur. Ils m’ont donné envie de vraiment cultiver l’herbe », reconnaît Fabrice Cuenot qui tient à les citer : Matthieu Cassez, de la Chambre d’agriculture et Erwan Leroux, éleveur breton (l’échange d’expériences, toujours !) et par la suite, Luc Delaby de L’INRA.
L’or vert du Pays du Comté
Suite à cela, l’éleveur a entrepris un gros travail pour améliorer le pâturage : découper des parcelles pour augmenter le temps de repos de l’herbe et toujours proposer une herbe fraîche et riche aux vaches. Pour cela, il faut vérifier la hauteur d’herbe à l’entrée et à la sortie du pâturage. « Au début, on utilise des outils de mesure comme l’herbomètre, après on a l’oeil. » L’idée est aussi d’avoir un fourrage de qualité et en quantité suffisante. Une garantie qui est apportée par le séchage en grange du foin.
Les vêlages sont groupés, ce qui permet de faire coïncider les besoins des animaux et de distribuer une même quantité de complément composé de 4 céréales et 4 tourteaux. Une conduite calquée sur l’élevage de truie, et que Fabrice Cuenot a retenu de l’époque où il vendait des aliments aux éleveurs de porcs. « On s’aperçoit que pour une même quantité d’aliment certaines vaches produisent plus de lait que d’autres.
C’est donc dans la ration de base, dans l’herbe, qu’elles vont chercher les derniers litres supplémentaires. » L’éleveur peut donc repérer les vaches qui valorisent le mieux les fourrages et les sélectionner sur ce critère. « La sélection, dans un troupeau, c’est toujours long, mais à terme, je pourrai encore mieux ajuster la quantité de compléments. »
Pour l’heure, la quantité utilisée est de 143 g par litre de lait produit en été et de 193 g par litre annuel. « Pour toujours mieux valoriser l’herbe, il faudra orienter mes choix de sélection génétique sur des critères comme la capacité d’ingestion d’herbe, de bons aplombs, car une montbéliarde doit pouvoir pâturer de longues heures sur tous les terrains…L’idéal : une vache économique au niveau alimentaire, qui mange plus de fourrage, tout en respectant l’AOC ».
Quantité annuelle d’aliments complémentaires : 1 741 kg par vache et par an, ce qui correspond en moyenne sur l’année à 193 g par litre de lait produit.
Production annuelle par vache : 9 000 l de lait.
« La mélangeuse n’a pas tenu ses promesses ».- Fabrice Cuenot a “essayé” la mélangeuse en 2007 pendant une quinzaine de jours. Le fourrage est haché dans la machine et mélangé avec le complément au moment de la distribution d’aliments au troupeau laitier.
« À l’époque, on nous annonçait l’Eldorado. Résultat : les vaches ont ingéré plus de fourrage, jusqu’à 30 kg par jour, mais par contre, elles ont baissé en lait ! » L’éleveur pense que cette baisse de production (3 litres par vache et par jour) pourrait être due à l’action mécanique de la mélangeuse qui coupe les fibres et fait le travail de mastication à la place des vaches, provoquant un transit plus rapide. « Dans nos élevages, c’est une machine difficile à amortir et un gâchis de foin car on est obligé d’en donner plus sans gain de production. J’ai arrêté la mélangeuse et la production est remontée aussi vite. »
L’Eldorado n’était qu’un mirage. Et l’éleveur a décidé de miser sur une valeur plus sûre : l’or vert du Pays du Comté.
Des Bretons intéressés par l’exemple comtois
Une délégation bretonne est venue enquêter sur les systèmes pâturants dans l’Est de la France, dans le cadre du plan de lutte contre les algues vertes. Elle s’est arrêtée sur l’exploitation de Fabrice Cuenot, producteur de lait à Comté aux Combes (Doubs).
Venu du bassin-versant de la Lieue de Grève (Côtes-d’Armor), région touchée par les problèmes d’algues vertes, ce comité composé d’agriculteurs, d’élus, de techniciens et de chercheurs, dont Luc Delaby de l’INRA de Rennes, spécialiste de l’herbe bien connu en Franche-Comté, réfléchit à d’autres pratiques moins productrices de rejets azotés pour participer à la suppression des marées vertes.
Pendant la visite, la délégation a posé énormément de questions sur le fonctionnement de la filière Comté, les circuits courts… et a fini par la visite de la coopérative de Gilley le soir, ce qui n’était pas prévu au programme !
« Pour être moins intensif, il faut diminuer la taille ou la production des troupeaux, donc chercher une meilleure valorisation du lait. La réflexion est en cours… », indique l’un des participants bretons.