Depuis 1880, Brénod et son plateau perpétuent leur tradition fromagère

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PAR PASCAL BÉRION Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme • Université de Bourgogne Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

La fruitière de Brénod est située dans la partie méridionale du massif du Jura. Elle appartient au Haut-Bugey et plus particulièrement au plateau de Hauteville, drainé par la rivière Albarine.

La coopérative de Brénod valorise le lait d’exploitations laitières réparties sur Aranc, Brénod, Champdor-Corcelles, Corlier, Haut-Valromey et Ruffieu. Ces localités ont pour particularité d’être toutes des petits villages, peuplés de 100 à 500 habitants. Les fermes exploitent 1 500 hectares de terres agricoles composées presque exclusivement de prairies naturelles. La présence de quelques parcelles cultivées est marginale. Ici, les fermes sont de grande dimension, toutes dépassent la centaine d’hectares. Avec une productivité laitière moyenne inférieure mais proche de 2 500 litres par hectare, elles se révèlent très extensives et font appel aux ressources fourragères des prairies locales pour entretenir le bétail. La fromagerie transforme un peu moins de quatre millions de litres de lait par an en fromages d’AOP Comté.

Le terroir de Brénod se localise au contact des plis du Jura dits internes (la Haute-Chaîne à l’est) et externes (ouest). L’ensemble se compose de vastes dépressions synclinales cloisonnées entre elles par des plis anticlinaux étroits orientés nord-est sud-ouest.
Ses finages se trouvent dans trois unités distinctes séparées par des chainons montagneux :

  • A l’ouest, les villages d’Aranc et Corlier appartiennent à la dépression de la Combe du Val. Les altitudes s’étagent entre 760 et 800 mètres dans une topographie peu tourmentée résultant du remplissage du val par des dépôts glaciaires d’origine alpine datant du Würm (dernière glaciation de l’ère quaternaire). La combe est dominée au nord et à l’ouest par les reliefs du massif de l’Avocat et ses prolongements, et à l’est par les éléments du puissant anticlinal des Monts d’Ain situé au contact des plis internes et externes du Jura ;
  • Au centre, se déploie le vaste synclinal du plateau d’Hauteville où se localisent les villages de Brénod, Champdor et Corcelles. Bordé à l’ouest par les crêtes des Monts d’Ain, il se termine au nord par le rebord du plateau de Retord, au sud par les gorges de l’Albarine et à l’est par les crêtes de l’anticlinal dit de Cormaranche-Les-Moussières culminant autour de 1100 mètres d’altitude (1234 m au sommet du Planachat). Le synclinal d’Hauteville s’étire du nord au sud sur une douzaine de kilomètres pour une largeur moyenne de moins de trois kilomètres et des altitudes comprises entre 850 et 900 mètres. Il est lui aussi l’objet d’un remplissage par des matériaux glaciaires d’origine alpine datant du Würm. L’Albarine draine la dépression au sein de laquelle plusieurs formations marécageuses, des tourbières, sont présentes et protégées au regard de leur richesse écologique (marais de Loups de Brénod, tourbières de la Combe Léchaud…) L’Albarine quitte le plateau d’Hauteville par la remarquable cascade de Charabotte, haute de plus de 100 mètres pour s’écouler dans des gorges abrutes avant de rejoindre l’Ain ;
  • A l’est, par-delà les crêtes franchissables par les cols de la Rochette, du Cuvillat, de la Cheminée et de Belle Roche se trouvent les villages de Petit-Abergement et de Ruffieu qui appartiennent au synclinal du Valromey. Les finages s’organisent dans une topographie pentue, les altitudes s’étagent entre 700 et 900 mètres, les parties plus élevées sont le domaine de la forêt. Les prairies se déploient sur des sols formés par les dépôts glaciaires würmien, mais leur topographie pentue empêche la présence de marécages. De très nombreuses haies équipent les parcelles, elles traduisent la présence d’un épierrage minutieux des prés par des générations successives d’agriculteurs ayant occupé les lieux.

Le plateau d’Hauteville et son voisinage (Combe du Val, Retord et Valromey) sont des lieux où la présence d’une production laitière valorisée par ces agriculteurs organisés en fruitière est attestée par des travaux publiés par la Société de Géographie de l’Ain entre 1880 et 1900. Ainsi, chaque village du secteur disposait à la fin du XIXe siècle d’au moins une fruitière. Mieux encore, en 1883 une fruitière école destinée à former les fromagers est installée à Ruffieu à l’initiative du département de l’Ain (qui en comptera trois au total, avec celles de Collonges et de Maillat). En 1892, une fromagerie est présente dans chacune des localités des actuels producteurs de Brénod. Il est indiqué qu’elles fabriquent des gruyères, terme usuel à l’époque pour qualifier les fromages que l’on commencera à qualifier de gruyère de Comté, puis Comté après la première guerre mondiale pour le distinguer de ses cousins suisses et savoyards.

Les paysages agricoles des montagnes du Haut-Bugey ont connu d’importantes transformations depuis les années 1950 :

  • Tout d’abord la forêt a effectué une extension considérable dans et sur les chainons montagneux. Les pâtures localisées dans les combes isolées et les prés-bois, ainsi que les terres en forte pente ont été laissées à la sylve soit par enfrichement lent, soit par la plantation de résineux. La photographie aérienne comparant les environs de Brénod entre 1954 et 2021 révèle l’intensité du phénomène ;
  • Ensuite, les parcellaires agricoles ont été remaniés par les remembrements et affinés par des échanges amiables entre les agriculteurs. Ce processus a initié l’installation des stabulations et des granges à foin en dehors ou en bordure des villages. Fait notable, cette évolution se traduit aussi par le développement de bosquets et de haies dans les prairies. L’abondance du couvert forestier réduit la pression sur les ressources ligneuses situées dans les champs, ressources que les agriculteurs d’autrefois coupaient pour en façonner des fagots de « charbonnette » pour se chauffer ;
  • Enfin, le dépeuplement des lieux semble s’être stabilisé et une timide reprise démographique se dessine. En conséquence, le terroir de Brénod n’a pas été l’objet d’une forte artificialisation de ses sols par la construction de lotissements destinés à l’habitat et aux activités économiques.

Le système de peuplement du terroir de Brénod est celui du village aggloméré autour du triptyque fonctionnel que sont les trois édifices autrefois fondamentaux du village, à savoir la mairie associée à l’école, l’église et la fromagerie. Mais, par-delà le village, des fermes sont dispersées dans les écarts. Il en résulte la présence de deux types de bâti :
Le premier se compose de maisons accolées les unes aux autres par groupe de trois ou quatre unités d’habitat dans les villages. Elles sont de dimension étroite en bordure de la rue, mais profondes, et accueillaient le logis, le bétail et le fourrage. Les toits sont soit couverts de tuiles mécaniques (rouges ou grises car ici se mêlent les influences jurassiennes et savoyardes) soit en bacs acier, matériau bien adapté aux conditions climatiques montagnardes. Souvent, les toits sont en demi-croupe et les façades disposent d’un « dreffia », c’est-à-dire un avant-toit abritant une réserve de bois, caractéristique de l’habitat du Bugey. Par ailleurs, l’influence comtoise se lit dans certains clochers construits selon la technique de la charpente à impériale que l’usage courant a baptisé « clocher comtois »
Le deuxième est propre aux fermes des écarts. Il s’agit de grosses granges couvertes généralement en acier avec des toits en demi-croupe.

La fruitière de Brénod perpétue une longue tradition fromagère à la pointe sud du massif du Jura. Il s’agit d’un milieu de moyenne montagne soumis à un long hiver et des étés où la sécheresse peut sévir avec acuité. Les éleveurs y ont adopté des techniques extensives en adéquation avec les ressources et les contraintes du milieu. Ici l’on produit du Comté avec les moyens que la nature propose. L’élevage bovin est ici une ressource qui produit de la valeur ajoutée économique (le lait est convenablement payé), sociale (collectif de la fruitière) et environnementale comme en témoigne la présence de milieux écologiques remarquables et les nombreuses infrastructures agroécologiques du finage.

Brénod, (partie ouest de la commune) entre 1954 et 2021 (source : IGN Remonter le temps)


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