Ce village situé à la frontière du Doubs a su conserver coûte que coûte sa très petite coopérative, la seule du Jura à toujours pratiquer la traditionnelle « coulée ».
La fruitière de Cuvier est l’une des plus petites de la fiière et la toute dernière du Jura à pratiquer la coulée. Chaque producteur des six exploitations livre son lait deux fois par jour, après la traite du matin et celle du soir, à la fromagerie.
Ce rituel autrefois commun à toutes les fruitières subsiste encore dans trois coopératives à Comté : Cuvier, Chapelle-des-Bois et Bouverans (Doubs).
Ici, pas de tank à lait ! Les tracteurs se donnent rendez-vous devant la fromagerie, située au centre du village. Tour à tour, les producteurs vident leurs bouilles et mettent le lait en commun. « On suit le lait, et le Comté qu’il va devenir, vraiment jusqu’au bout », assure le président, Olivier Jantet. Denis Decreuse, le fromager, laisse toujours un des enfants appuyer sur le bouton de vidange du pèse-lait, pour voir s’écouler l’or blanc dans la cuve. Un instant de plaisir chaque jour renouvelé ! « La coulée, c’est aussi le moment où les choses s’organisent, où l’on annonce les bonnes et les mauvaises nouvelles, c’est un lieu de vie du village », assure les coopérateurs, forcément très soudés par ces rencontres quotidiennes.
Petite et fière de l’être
Au sein de la filière, Cuvier fait un peu office de « dernier village gaulois » : pas seulement parce qu’elle pratique la coulée, mais aussi car elle réunit seulement 6 exploitations alors que la moyenne des coops est à 18 exploitations. Cette exception est une grande fierté pour les producteurs et pour le fromager !
Ce dernier, œuvrant à Cuvier depuis 24 ans, assure : « Jean Marie Vacelet, un des anciens présidents, a beaucoup fait pour conserver sa coop face aux éventuelles fusions. Aujourd’hui encore, tous sont des coopérateurs dans l’âme et ont le souhait de préserver cette petite structure ».
Dès 1994, des travaux de mise aux normes ont démarré pour assurer l’avenir : le tirage à la pompe a remplacé la toile et d’autres chantiers ont suivi avec l’assainissement en 2000, le changement des cuves, l’investissement dans les presses, etc.
Oh, évidemment, Cuvier ne retrouvera jamais ses 56 exploitations présentes en 1856 ! Mais tant que ses sociétaires – et le couple de fromagers qui œuvre 7j/7 avec passion – seront debout, la petite fruitière n’est pas près de disparaître !
Denis Decreuse, le fromager de tradition
Henri, son père, était fromager.
C’est donc avec lui que Denis Decreuse a appris le métier à 17 ans et demi, avant de suivre une formation à l’ENIL de Mamirolle. « J’ai ensuite travaillé cinq ans avec mon père et une année en solo à la coopérative de Lavans Vuillafans.»
En août 1995, Denis est embauché à Cuvier par Jean-Marie Vacelet (qui restera président près de 40 ans), chaudement recommandé par Pierre Albesa, le fromager de Vernierfontaine. Tous les matins, c’est le même rituel : « Il faut penser à tout. Tu travailles avec la température, l’horloge et les dosages. Il faut calculer tes proportions pour préparer le seau avec la bonne dose de levain et de présure. Notre travail nécessite de l’observation, de l’écoute, beaucoup de rigueur et de vigilance.»
A Cuvier, les laits sont de bonne qualité, selon le fromager. « De toute façon, à six, il faut être irréprochables. Si l’un déconne, toute la fabrication est mise à mal. Avec ce petit nombre d’apporteurs, on n’a pas le droit à l’erreur !»
Faune et flore locales
Le Millepertuis de Richer
Ce millepertuis fleurit de juin à juillet dans les pelouses et les pâturages d’altitude entre Cuvier et Pontarlier. On l’observe également aux alentours de Saint-Claude et de Fournet Blancheroche. En général, il croît à plus de 800 m d’altitude, même si on l’a trouvé à 530 m en Arbois. Avec ses grosses fleurs jaune d’or et ses feuilles ovales ponctuées de glandes noires, c’est une espèce protégée en Franche-Comté.
Le Damier de la Succise
Ce papillon diurne, en fort déclin en Franche-Comté, est inféodé aux prairies humides, présentes sur le territoire de Cuvier. La présence de cette espèce dépend étroitement de celle de sa plante hôte : la Succise des prés. La préservation du Damier passe principalement par la réalisation de fauches tardives, la préservation de corridors écologiques et des pratiques agricoles extensives (limitation de la fertilisation et du chargement au pâturage).
En partenariat avec le Conservatoire botanique de Franche-Comté et le Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté
Des Comté au bon goût rustique
Au niveau des arômes déployés à la dégustation sur des fromages âgés de 9 à 13 mois, les Comté de Cuvier pourraient être qualifiés de « traditionnels » tant au nez (odeur de la pâte) qu’en bouche. Aux odeurs de pâtes gratinées, brioche et noisette dégagées par la pâte, succèdent en bouche du torréfié un peu différent (café au lait / café / caramel), un mélange noisette-noix, un peu de miel et une note citronnée. Des notes jaune d’œuf et cuir peuvent compléter tout en restant discrètes.Les quatre saveurs et un peu d’âcreté sont présentes donnant un bon goût rustique, tandis que la texture est souple le plus souvent.
Le mot de l’affineur
« L’apport bi quotidien de lait chaud avec sa flore lactique confère à ces Comté des notes aromatiques d’une grande diversité. Quand on visite cette jolie fromagerie, nos clients sont séduits par son côté artisanal. Quelle meilleure image de fraîcheur pourrait-on donner aux consommateurs que d’assister à une coulée du lait ?»
Bertrand Henriot, Fromageries Arnaud.
La coopérative de Cuvier en bref
SOCIÉTAIRES : 6 exploitations et 10 sociétaires à Cuvier, Censeau et Esserval-Tartre
PRÉSIDENT : Olivier Jantet (depuis 6 ans).
SALARIÉS : un fromager et une aide-fromagère / vendeuse
LITRAGE :2 millions de litres de lait à Comté.
AFFINEURS : Juraflore
CONTACT : 8 rue de la Mairie • 39 250 CUVIER • Tél. 03 84 51 37 59