Fritz, Katja et Florian Studer, les Normands voyageurs
Gaec du Rocheret à Déservillers (Doubs) qui livre son lait à Septfontaine. Originaires de Suisse allemande, ils sont arrivés de Normandie en 2012.
« J’avais deux ans et demi quand mes parents ont quitté la Suisse allemande pour s’installer dans une ferme en Normandie, en 1993, raconte Florian. Tout allait bien, mais en 2009, pour la première fois, nous avons perdu de l’argent en travaillant. Mes parents ont participé à la « grève du lait », moi aussi : j’allais en cours le jour et je participais aux actions de contestation la nuit. Pendant 14 jours, nous avons jeté notre lait, pour protester. Malgré tout, la situation ne s’améliorait pas et mes parents ont perdu le moral. J’étais en Bac pro agricole, sûr de vouloir faire ce métier plus tard. Un jour, on s’est mis les trois autour de la table : « Il faut faire quelque chose ». Déjà, la fin des quotas était annoncée et nous connaissions l’issue : s’agrandir ou mourir.
On voulait une ferme familiale, privilégier notre qualité de vie et arrêter l’ensilage. Il fallait de l’herbe et de la pluie : nous connaissions le Doubs qu’on traversait pour aller voir la famille en Suisse. Après deux ans de recherche, nous avons trouvé notre ferme, en août 2012. Mon père s’est d’abord mis en Gaec avec l’ex-propriétaire, Pascal Comte, qui nous a appris comment optimiser le pâturage. Grâce au Gaec, j’ai pu partir et visiter une dizaine de pays en huit mois avec la certitude, en revenant, que la filière Comté était la bonne ! Je me suis installé en mai 2014 et ma mère vient d’intégrer le Gaec. Cette filière, on en est si contents qu’on a envie de se battre pour elle. J’adhère aux JA et ma mère au Gedaf « Entre Loue et Lison » dont elle est depuis peu présidente.
Le cahier des charges, on le voit vraiment comme une chance. Une filière où le producteur a son mot à dire, ça aussi, c’est une chance… »
Bénédicte Rivet, l’ancienne prof, proche de la nature
Ferme de l’Aubépine à Moissey (Jura), sociétaire de la coopérative de Chevigny. Originaire des Yvelines, elle était auparavant monitrice en maison familiale.
Bénédicte Rivet, originaire de la région parisienne, est la fille d’un employé dans la sidérurgie et d’une mère au foyer. Elle a commencé sa carrière en tant que monitrice en maison familiale à Dole. Mais après des études agricoles à Lille, de petits jobs dans des fermes à Grenoble, Nîmes… et un certificat de spécialisation bio à Carpentras, la prof « peu adaptée au monde salarié » s’est lancée dans l’agriculture. C’était en 1992, elle avait 30 ans. « J’en avais envie depuis longtemps, sans trop savoir comment m’y prendre. Un jour, un agriculteur est intervenu auprès de mes élèves et c’est ainsi que j’ai rencontré l’un des deux associés qui m’accueilleraient plus tard dans leur ferme. J’ai commencé par un élevage de poules pondeuses et poulets en vente directe, puis avec le départ d’un associé, j’ai rejoint l’élevage laitier et abandonné la partie avicole. Aujourd’hui, je me sens très bien dans mon métier. Il me fallait un lien très proche de la nature, du cycle des saisons et une activité manuelle : j’ai trouvé tout cela en agriculture et dans le Comté. Grâce à mon associé, aujourd’hui en retraite, j’ai très vite été mise au parfum de ce qu’était une coopérative, un cahier des charges, etc. J’ai d’emblée trouvé passionnant d’élever des vaches avec de l’herbe. Et compliqué ! En bio, on se creuse la tête pour soigner la terre sans pesticides et l’animal en réduisant les antibiotiques. J’ai deux associés pour deux ans, des ingénieurs agronomes voulant acquérir de la pratique en vue d’une reprise potentielle. Grâce au Comté, nous avons la possibilité de bien vivre d’un petit troupeau. »
Benjamin Delesalle, le gars du Ch’Nord
Gaec de Fontaine Noire à Cornod (Jura), président de la coopérative d’Aromas. Originaire d’à côté de Lille, il est arrivé avec son épouse et son premier fils en 2011.
Fils d’une clerc de notaire et d’un chef d’équipe en travaux agricoles, Benjamin Delesalle a toujours voulu être agriculteur et se voyait dans la ferme de ses oncles, dans le Nord. Impossible, le foncier était trop onéreux. En BTS, j’ai effectué un stage en AOP Beaufort qui m’a sensibilisé à la production sous signe de qualité. Mais la zone Beaufort attirait peu ma femme, une vraie Nordiste, pas très montagnarde !
A 28 ans, j’ai pris un poste de vacher au lycée des Sardières de Bourg-en-Bresse et fait connaissance avec la filière Comté. J’ai pris attache avec plusieurs fermes, discuté avec de potentiels futurs associés dans l’Ain et le Jura. En 2010, j’ai rencontré Rémy Guillot avec qui on a tout mis à plat : nos façons de faire, nos horaires différents, moi lève-tôt, lui couche-tard… On est devenus associés le 1er janvier 2011 et ma femme, préparatrice en pharmacie, a pu trouver un emploi à Arinthod. Rémy m’a présenté aux gens de la coopérative dont je suis aujourd’hui président ; une manière de les remercier de m’avoir si bien accueilli. Depuis, un couple de Belges a intégré la coopérative en 2011 et un couple de Suisses en 2014. Nous avons aussi des petits jeunes qui faisaient avant du lait standard vers Mâcon.
Tous, nous avions un objectif en intégrant la filière Comté : pouvoir vivre d’un métier humainement valorisant et se projeter dans l’avenir, avec l’objectif de transmettre. Les Belges, Frédéric et Patricia Heinrich, viennent d’installer leur fils Laurent, qui a repris l’exploitation d’un de nos sociétaires. Moi, j’ai trois fils, ce serait malheureux qu’aucun ne prenne ma suite ! »
Mike Egger, le Suisse téméraire
Gaec Reconnu de Cessay à Frasne (Doubs), coopérateur à la fruitière de Frasne. Originaire de Suisse, il a mis sept ans avant de réussir à s’installer.
Mike Egger n’a jamais abandonné son idée, malgré les sept ans qui se sont écoulés entre le moment où il y a pensé et celui où il s’est installé en Comté. Après avoir monté son entreprise de travaux agricoles à Moudon, puis avoir été salarié agricole pendant cinq ans à Posieux, Mike Egger, 31 ans, a quitté sa Suisse natale pour s’installer en zone Comté.
« La vente des vaches de mon oncle, le 4 octobre 2007, a été le déclencheur. Au Salon de l’agriculture, un inséminateur belge m’a fait connaître des gens du Doubs. En 2008, je me suis inscrit au répertoire des installations, mais j’ai dû faire un Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole pour avoir droit aux aides à l’installation. J’ai fait les allers-retours entre la Suisse et Besançon pendant huit mois. Mon stage, je l’ai effectué au Gaec de la Voie lactée, chez Eric et Rachel Février à Arc-sous-Cicon. J’avais un projet à Bersaillin, très bien parti, mais les problèmes administratifs étaient si insolubles qu’on a laissé tomber… C’était en août 2011. Je suis retourné en Suisse tout en continuant à chercher, et c’est grâce à une connaissance, que j’avais rencontrée à Besançon, que j’ai su que Jean-Louis Barthod cherchait quelqu’un pour prendre la suite de son associé. Cette fois, tout a marché comme sur des roulettes : j’ai débuté le 4 février 2013 et me suis installé en octobre de la même année.
Côté intégration, pas de problème ; le Haut-Doubs, ce n’est quand même pas la plus hostile des mentalités ! On était rien que 250 pour fêter mon installation… »
Claire et Romain Gadiolet, les amoureux des bêtes
Gaec des prés Ferrey à La Chaumusse (Jura) – Fruitière de Grande Rivière. Ils se sont rencontrés en 2000 au Salon de l’Agriculture et ne se sont jamais plus quittés.
« Moi, j’avais des oncles et un grand-père agriculteurs, mais mon père était plombier et ma mère secrétaire de mairie. Claire, elle, n’avait aucun agriculteur dans sa famille. Ses parents étaient instituteurs dans le Doubs. C’est un voisin, qui avait une ferme et lui a donné le goût de la Montbéliarde. Depuis, elle participe à pas mal de comices avec plusieurs prix à la clé. Nous avons 40 vaches et cette race est notre passion. On l’aime, elle a tout ! Avec Claire, nous nous sommes rencontrés en 2000 au Salon de l’agriculture et on s’est installés en juillet 2001.
On était sûrs de nous ! Nous nous sommes mis en Gaec ensemble dès qu’on a pu, c’était une aberration de ne pas pouvoir le faire. L’exploitation, c’est du travail, c’est sûr. Mais le plus diffi cile aujourd’hui, c’est de travailler avec du vivant : pour nous, perdre des bêtes, ça reste dur. Avec notre fils, on aimerait partir plus souvent, mais on a du mal à s’éloigner trop longtemps. Et s’il y avait un souci ? On trouve de bons remplaçants, qui ne restent jamais, car ils finissent par s’installer eux aussi !
Nous sommes bien avec nos 40 vaches, sans volonté de grandir. Il me semble qu’il faut rester cohérent : on ne peut pas limiter les tailles des ateliers à Comté et avoir des exploitations de 200 vaches. Est-ce que mon fils sera agriculteur ? Il fera exactement comme il voudra. A 7 ans, il hésite entre chercheur d’or ou de dinosaures… »
Damien Mermety, le haut-Savoyard indépendant
Exploitation individuelle à Nurieux-Volognat (Ain) ; Fromagerie de la Combe du Val à Saint Martin du Fresne. Venu de Haute-Savoie en 2006, il a toujours été convaincu de vouloir être sous label qualité.
« Mon père était directeur d’agence bancaire et ma mère commerciale, mais mes grands-parents étaient paysans. En Haute-Savoie, j’ai tenté un Gaec où la mayonnaise n’a pas pris et fait une tentative d’installation « en individuel », qui a échoué tant l’accès au foncier est difficile. Je voulais faire du lait sous signe de qualité : même si, quand j’ai repris en 2006, le prix du lait à Comté n’était guère plus intéressant que le standard, j’étais convaincu sur le long terme.
Ma femme, professeure des écoles puis conseillère pédagogique, a été mutée facilement. Nous avons été très bien accueillis ! En Haute-Savoie, les parcelles sont morcelées. Ici, j’ai 140 hectares, dont 80 d’un seul tenant, proches de l’exploitation. Cela me permet de travailler seul et d’optimiser le pâturage : mes 50 vaches pâturent jour et nuit du 1er avril au 20 novembre avec un rendement de 280 000 litres de lait.
Sans parents exploitants, j’avais moins connaissance des contraintes : en agriculture, on ne chiffre jamais le temps de travail. C’est parfois dur pour la famille, mais entre gens intelligents, on se comprend. Une chose à évaluer pour les nouveaux entrants : le parallèle entre matériel et main d’oeuvre. Quand j’ai repris, le cédant avait 60 ans, moi 20. Je me suis dit : s’il y arrive, moi aussi. Mais il faut tenir compte de la main d’oeuvre « masquée » : quand la femme, les enfants, les parents donnent la main sur l’exploitation, ce n’est pas pareil ! J’ai dû réinvestir en matériel et l’amortir pendant dix ans. Si c’était à refaire, je ne reprendrais pas le matériel du cédant. »