Une des voies de progrès pour la filière Comté passe par l’amélioration de l’indépendance alimentaire, en régénérant des circuits régionaux pour certaines cultures, comme celle du colza, et en favorisant une meilleure valorisation de l’herbe.
Le contexte.- En plus des mesures réglementaires interdisant tout OGM dans l’alimentation du troupeau producteur de lait à Comté, le CIGC a considéré comme nécessaire à la crédibilité de l’AOC qu’une part croissante de l’alimentation du troupeau provienne du terroir de l’AOC. Sur le plan des fourrages grossiers, la quasi-totalité des exploitations de la zone Comté est déjà autonome. En revanche, les achats d’aliments portent essentiellement sur les concentrés, protéiques notamment, et dans une forte proportion à base de tourteaux de soja d’importation et aujourd’hui largement gagnés par les OGM. C’est donc à cause du risque croissant de contamination, que s’est construite l’action interprofessionnelle en faveur de « l’autonomie protéique ».
Les études.- En 2002, une première étude menée conjointement par l’INRA de Mirecourt, dans les Vosges, et l’INRA de Poligny, a permis de vérifier que des rations alimentaires à base de protéines alternatives au tourteau de soja (luzerne déshydratée, féverole) ne présentaient pas de risque majeur, tant sur le plan zootechnique pour la conduite du troupeau laitier, que sur le plan technologique du point de vue de la qualité du lait et de la qualité fromagère en mini-fabrication. Les résultats obtenus ne montraient pas ou peu d’effet sur les performances laitières des animaux, ni sur les caractéristiques des laits et des minifromages fabriqués.
Une nouvelle étude, menée de 2004 à 2006 avec le soutien financier du Conseil régional de Franche-Comté et avec la collaboration technique des Syndicats de contrôle laitier et du Comité Technique du Comté, a élargi le champ d’investigation à d’autres sources protéiques, et se situant plus proche des contraintes du terrain, avec deux volets :
• Deux fromageries dans leur ensemble, Loray et Hautepierre dans le Doubs ont servi de site expérimental, tous les producteurs (17 au total) adhérant aux objectifs et acceptant d’alimenter les vaches laitières sans tourteau de soja pendant une année entière. Un travail de suivi a été réalisé sur toute la durée de la période, intégrant les paramètres de l’exploitation agricole et ceux afférents à la qualité du lait et du fromage.
• Onze autres producteurs, bien répartis sur l’ensemble du massif jurassien, de la plaine aux hauts plateaux, ont été repérés comme ayant déjà développé une stratégie d’autonomie dans des milieux naturels variés sur tout le territoire de l’AOC. Ce volet du programme a consisté à les suivre du point de vue de la qualité du lait, y compris l’aptitude à la coagulation, ainsi que sur les résultats techniques et technico-économiques du troupeau.
Les résultats.- Les résultats de cette étude peuvent être résumés de la manière suivante :
• La production de lait sans tourteau de soja est possible sur toute la zone Comté ;
• L’autonomie protéique est obtenue avec des stratégies simples et économiques ;
• Les éleveurs » autonomes » sont des éleveurs performants ;
• Il est possible de diminuer les concentrés de 300 kg par vache et par an, en été sans diminuer la production laitière et en hiver en acceptant une légère baisse de la production laitière ;
• L’impact du changement d’alimentation sur la fabrication en situation réelle est plutôt favorable en ce qui concerne la fromageabilité des laits. L’aptitude à la coagulation des laits n’a pas été fondamentalement modifiée.
Les suites
1- Au niveau du colza
Sachant que le colza est une source protéique régionale facilement disponible, la construction de filières colza tracées sans OGM paraît une des voies possibles.
Les besoins de la filière Comté ont été estimés à 20 000 hectares de colza, ce qui est tout à fait compatible avec les surfaces disponibles en Bourgogne et en Franche Comté. Sur la zone seule AOC Comté, à moins de 400 mètres d’altitude, il y a 50 000 hectares de céréales et 11 000 hectares de protéagineux. De plus sur la Bourgogne-Franche-Comté se dessinent des perspectives de trituration et d’organisation devant permettre une traçabilité organisée à l’attention des filières AOC. Néanmoins il faut vérifier au préalable que les effets sur la qualité du Comté sont compatibles avec l’AOC. Un protocole expérimental est en voie d’élaboration.
2- Au niveau des exploitations
Les éleveurs suivis au cours de cette étude témoignent que la politique d’autonomie alimentaire est aussi une source d’amélioration des performances économiques de l’exploitation et un moyen à leurs yeux de choisir des voies de développement alternatives au modèle de la restructuration et de l’agrandissement des exploitations et des fruitières. Remettre la vache, l’herbe et le foin à leur vraie place, c’est davantage faire appel à la technicité et au savoir-faire des producteurs, c’est aussi davantage de motivation et d’indépendance et un effet bénéfique pour la qualité et l’image du Comté.
Expérience de terrain : le choix de Luc et Marc Desbois
Au sud de la vallée de l’Ain, à Cize, Luc et Marc Desbois élèvent 50 vaches laitières pour une production annuelle de 300 000 litres de lait livrés à la fruitière de Villereversure. Le GAEC de Cize existe depuis onze ans, et dès les premières années, les deux frères ont renoncé aux approvisionnements extérieurs pour l’alimentation de leur troupeau. Les analyses renouvelées du fourrage ont permis de valider leur choix : toutes les protéines nécessaires étaient disponibles sur leur exploitation. L’apport des céréales produites sur l’exploitation, 10 hectares d’orge et de tritical au total, se révèle plus que suffisant.
Cette solution est optimale pour une production de 6 500 kg par vache. « Au-delà, dit Marc, qui avoue une passion pour les calculs comptables, la rentabilité par litre de lait est défavorable. » Luc le confirme avec d’autres arguments : « Il faut aussi une cohérence par rapport à un produit de terroir. Où est le terroir si l’on doit produire avec des aliments venus d’ailleurs ? » Ils élargissent aussi le champ de leur réflexion : un soja produit à l’autre bout de la planète entraîne des problèmes écologiques, comme la déforestation.
Si la réduction des charges est un élément non négligeable, le choix revendiqué d’un mode de production bien ancré dans le terroir a convaincu dans ce pays historiquement lié au Comté.
L’autonomie protéique en zone Comté : un challenge à la portée de la filière
Alors que les cultures transgéniques se généralisent dans le monde, est-il raisonnable d’envisager que les troupeaux laitiers de la filière Comté se passent des tourteaux de soja et d’arachide ? C’est à cette question qu’une trentaine d’agriculteurs répartis sur tout le massif jurassien se sont efforcés de répondre pendant la campagne 2004/2005, dans le cadre d’un suivi expérimental assuré par les syndicats de contrôle laitier (SCL) du Doubs, du Jura et de l’Ain, en liaison avec le CTC et le CIGC. La réponse est « oui ».
Des stratégies simples et économiques
Après un an d’expérimentation, une réunion bilan s’est tenue à Censeau le 5 avril, ouverte à tous les participants à l’étude, en présence des responsables du Conseil Régional (contributeur au financement du programme) et de la Direction Régionale de l’Agriculture. Les responsables techniques de chacun des Syndicats de Contrôle Laitier, MM. Pourchet, Belot et Fatet ont pu témoigner du travail assuré pendant toute une campagne, et leur contribution peut se résumer en quatre points :
• L’autonomie des exploitations en protéine est possible sur toute la zone AOC
• L’autonomie est obtenue avec des stratégies simples et économiques
• Les éleveurs autonomes sont des éleveurs performants
• Il est possible de diminuer les concentrés de 300 kg par vache et par an, ceci en été sans diminuer la production laitière et en hiver en acceptant une légère baisse de la production laitière.
Améliorer la maîtrise technique
Après les exposés techniques, les agriculteurs présents ont pu témoigner de leur passion, en décrivant toute une palette de stratégies propres à chacun, selon leur situation géographique en plaine ou en montagne, leur politique d’étalement ou de groupage des vêlages, ou selon enfin la moyenne laitière de leur troupeau de 6 000 à 7 800 litres annuels. Les uns ont remplacé les tourteaux de soja et d’arachide par des tourteaux de colza et de tournesol. Un nombre significatif d’exploitations ont abandonné complétement le tourteau, au profit de mélanges où bien souvent le complément protéique fut réalisé à partir de luzerne. À entendre ces agriculteurs, on comprenait que la fierté du métier s’exerçait non autour d’une performance de moyenne laitière élevée, mais autour d’une maîtrise technique et d’une optimisation du revenu. L’un des intervenants rappelait d’ailleurs que passer d’un coût de concentré aux mille litres de lait de 47 à 20 euros permettait pour une exploitation moyenne une économie annuelle de 6750 euros. Un des agriculteurs soulignait l’inadéquation des logiciels «rationnement» des syndicats de contrôle laitier, car ils limitent les quantités de fourrage qui peuvent être ingérées. Les contrôles laitiers ont pu donner l’assurance qu’ils devraient être modifiés prochainement.
Un esprit pionnier
En conclusion, les éleveurs «autonomes» ont souhaité se sentir moins seuls, et le CIGC n’a pas manqué de leur promettre qu’après les derniers ajustements, il ne manquerait pas d’assurer la plus large information possible autour de ces résultats, les remerciant pour l’esprit pionnier dont ils ont su faire preuve.